Fanfiction Leiftan - Lying Trust

43ème Souvenir

La douce sensation d'être bercée par les flots arracha lentement Adelayd à son sommeil, mais elle n'ouvrit pas les yeux tout de suite. Elle se trouvait encore, comme tout un chacun lors du réveil, dans cet étrange état de torpeur qui précède la parfaite prise de conscience du retour à la réalité et conclut la période de songes : la principale caractéristique de ce moment est le fait que l'on a déjà - soyons honnêtes - compris que le retour à la réalité était inévitable, mais que l'on préfère encore faire semblant d'être assoupi dans l'espoir de se rendormir, loin du quotidien et de ses exigences.

La véritable prise de conscience eut lieu quelques minutes après, lorsque la jeune fille aux yeux clos comprit que son cerveau d'une nature méfiante et purement instinctive n'allait pas la laisser retourner à son état de grâce aussi facilement. Pour ce faire, des images se mirent à défiler devant ses yeux, lui rappelant petit à petit le cours des évènements récents, et soulevant de nouvelles interrogations auxquelles il faudrait bien répondre à un moment où à un autre.

Mais pourquoi si tôt ?

Elle se sentait terriblement bien, si gentiment bercée, comme une enfant bordée par ses parents avant d'aller se coucher. Elle n'avait pas la moindre envie du monde de se souvenir de la trahison, de la peur, de sa propre faiblesse, de la sensation d'être plaquée à terre, de l'impression d'être souillée. Elle ne voulait pas repenser au regard glacial de Leiftan se posant sur elle, à Eléa et son amour perdu, aux souvenirs d'enfance, à son intransigeant maître d'Aikido, à ses parents, à la femme qui l'avait agressée.

Non, elle ne voulait pas quitter cet agréable état larvaire par le fil de la réflexion, quand bien même cette décision n'était plus la sienne à prendre et qu'il était, en vérité, déjà trop tard. Alors, pour éviter de penser à son ventre déjà noué par ce violent retour à la réalité, pour éviter de se mettre à réfléchir trop vite, comme d'habitude, elle commença par se poser une question plus abordable.

Pourquoi cette sensation de bien-être ?

Elle esquissa un léger mouvement du bout des doigts, tentant de réveiller avec le plus de douceur possible ses cinq sens pour éviter de reproduire avec son corps le même réveil brutal que celui que lui avait imposé son esprit. Quand elle sentit ses membres engourdis se délier peu à peu, reprendre consistance, elle put mieux se focaliser sur l'environnement qui l'entourait, tout en conservant les yeux clos. Son ouïe se réveilla la première, car un bruit souple et régulier, peu agressif, accompagnait les très légers et presque imperceptibles mouvements de balancier qui l'avait arrachée à son sommeil, et qu'elle avait confondu avec la sensation d'être sur une embarcation portée par les vagues. Puis ce fut au tour du toucher : quelque chose était pressé contre sa joue, quelque chose de dur et de chaud ; ses pieds ne touchaient pas le sol, et elle comprit qu'elle était maintenue en hauteur par une force extérieure ; on lui appuyait dans le dos, elle le devina en reconnaissant l'empreinte d'une paume dessinée dans le creux de ses reins. Et enfin, l'odorat : une odeur unique au monde atteignit ses narines, et elle sentit inexplicablement les larmes lui monter aux yeux.
Elle entrouvrit la bouche et sentit ses sourcils se froncer petit à petit, malgré la première perle nacrée glissant déjà le long de sa joue :
- Ne me... touche pas... marmonna-t-elle d'une voix à peine audible.

Leiftan s'arrêta de marcher.

Il avait dû l'entendre.

Sans décrocher une seule parole, sans esquisser le moindre geste, il resta ainsi un long moment, parfaitement silencieux, la tenant toujours entre ses bras. Adelayd aurait presque ironiquement ri si elle ne s'était pas sentie aussi malheureuse en repensant à ce moment où il l'avait porté de la même façon à travers la place du marché d'Eel, jusqu'à la falaise : elle en était presque revenue aux premiers jours, à cette époque bénie où elle avait encore tout. Confiance, famille... et amour.