40ème Souvenir

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- Nous ne sommes plus très loin du point de rendez-vous. Après la route d'Hera, à droite, un messager devrait nous attendre... Enfin, t'attendre toi, surtout.

Leiftan écoutait à moitié les commentaires qui se voulaient constructifs d'Ashkore, mais prit la peine de lui lancer un regard en biais pour l'observer - ou plus précisément pour observer le "colis" qu'il portait machinalement sur une épaule, comme un vulgaire sac de provisions, lui qui en avait tant volées aux QG par le passé. Rapidement pourtant, il détourna les yeux, s'interdisant de contempler plus de quelques secondes le corps inerte d'Adelayd, bâillonnée et les mains ligotées dans le dos, de peur d'être sujet à quelques émotions embarrassantes qui n'avaient plus lieu d'être désormais.

Comme pour enfoncer le clou, son associé tourna la tête vers leur prisonnière, qui avait sombré dans un sommeil presque léthargique :
- Elle pèse vraiment pas lourd, cette nana. Je m'attendais à plus. C'est vraiment une obsidienne... ? Les recrues, c'est plus ce que c'était, ricana-t-il.
L'Aengel tressaillit de manière imperceptible en se revoyant dessiner avec admiration chaque muscle de la jeune fille, cette carrure athlétique qu'elle dissimulait si bien derrière un visage aux traits terriblement féminins : il ferma les yeux un moment pour chasser ce souvenir pesant, quand bien même son ombre trônait encore juste derrière lui.
Faites qu'il se taise, pria-t-il, l'air grave.

Il n'avait pas la force, ni l'envie, de faire la conversation avec son allié, pas après ce qu'il venait de faire : sa décision était prise, entérinée, et ce dès le moment où il l'avait confrontée la nuit dernière. Ses yeux gris, confus, suppliants, et ce court éclair de lucidité qui l'avait traversée, bien trop tard... Y repenser ne faisait qu'ébranler des convictions contre lesquelles il ne pouvait aller : des siècles de traitrise, de tromperies, de meurtres de sang-froid, ne pouvaient pas être aussi facilement balayés par un simple regard.
Alors, pour ne pas y penser, pour ne plus réfléchir autrement qu'avec sa haine, Leiftan regardait ailleurs, s'isolait plus encore en son for intérieur, réveillant la bête sans coeur qu'il avait toujours été : désormais, rien ni personne ne l'empêcherait de se venger de tous ceux qui vivaient aux dépens de la mort des siens.
Et de celui qui en était la cause.
- Au fait, Leif...

Leiftan leva les yeux au ciel : pourquoi fallait-il que son associé soit toujours aussi bavard, à chaque fois qu'il n'avait pas la moindre envie de faire la conversation?
- Quoi encore? marmonna-t-il en continuant à marcher, n'essayant même pas de masquer son irritation.
Etonnamment, Ashkore hésita un peu avant de reprendre la parole :
- Je voulais te poser une question, finit-il par avouer. Ca concerne l'humaine.
L'Aengel fit mine de ne pas réagir, et attendit patiemment que son allié exprime son idée jusqu'au bout, ce qu'il finit par faire, accélérant légèrement le pas pour se positionner juste à côté de lui : il dut faire un effort monumental pour ne pas tourner la tête vers lui en sentant l'aura ironiquement apaisée d'Adelayd arriver à sa hauteur.

D'un geste qui le fit se raidir de la tête aux pieds, Ashkore repositionna brusquement le corps inanimé de la jeune fille qui avait légèrement glissé le long de son épaule sans même y prêter attention, avant de reprendre :
- Y'a un truc que je comprends vraiment pas. Tu sais qu'on s'était un peu croisés, elle et moi, dans les couloirs du QG lors de nos rendez-vous nocturnes...
Leiftan arqua un sourcil, vaguement agacé face au choix des termes "rendez-vous nocturnes" employé par son allié pour désigner leurs entrevues, mais ne releva pas.
- Un soir, reprit-il, elle m'a attrapé le bras, sans prévenir. Je ne m'y attendais vraiment pas. Figure toi que ça m'a laissé une drôle d'impression sur le moment, comme si j'avais reçu une décharge électrique... Mais ça n'a même pas duré plus d'une seconde.
Sans trop savoir pourquoi, Leiftan eut très brièvement l'envie de lui flanquer son poing en pleine figure, mais n'en fit rien : au contraire, il demeurait toujours aussi silencieux, essayant de ne pas se laisser dépasser par les sentiments confus qui grouillaient encore au creux de sa poitrine.
- Tu saurais pas ce qui a pu me faire un tel effet? demanda-t-il enfin avec nonchalance, marquant bien qu'il posait cette question par pure curiosité et non pas pour le provoquer.

Fanfiction Leiftan - Lying TrustWhere stories live. Discover now