35. Plan de bataille (3/4)

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Le résultat de ce second objectif ne se fait d'ailleurs pas attendre. La porte se rouvre sur Hans.

— Vous vouliez que j'entende tout.

Ce n'est pas une question.

— Je voulais que vous compreniez qui est vraiment Giulia de Gandolfi,

— Vous avez dit vrai pour la Horde, concède-t-il. Les chasseurs sont véritablement après vous.

— Et je n'ai pas menti non plus sur les événements dans la combe et les conséquences du souffle du Dieu, insisté-je.

Il esquisse une moue dubitative, un peu suspicieuse.

— Hans, écoutez-moi, je vous en prie, c'est important.

— Que souhaitez-vous me dire ?

Je le sens sur la défensive. Il se méfie encore de moi.

— Je ne doute pas des bonnes intentions du cardinal Marliano, expliqué-je pour ne pas le froisser. Ce qu'il désire accomplir est louable. Je veux moi aussi arrêter les ravages des quatre cavaliers.

Hans croise les bras sans dire un mot. J'essaie de me souvenir des sages paroles de Pontbréant.

— Mais le livre de saint Augustin n'est pas la solution. Les Tissages qu'il décrit sont trop anciens. Leur utilisation aujourd'hui est en train de détruire la Toile. N'avez-vous pas constaté que le Voile s'affaiblit ? Des créatures de l'Autre Côté sont maintenant capables de le traverser. J'ai vu un centaure dans la forêt près de Padoue !

Je croise son regard bleu et lui ouvre mon cœur comme je le ferais avec Heinrich.

— Le souffle de Dieu, Tissé à l'aide des sept reliques, détruira le monde que nous connaissons. Les anciennes légendes reprendront vie, les dragons sèmeront la terreur. L'Ordre du nouvel éveil projette de restaurer la grandeur passée des Veilleurs et tous les Dormeurs seront les victimes de leur folie. Est-ce cela que tu veux ?

— Pourquoi vous croirais-je ?

— Parce que, contrairement à Giulia, je ne t'ai jamais menti ? suggéré-je.

Il tressaille. Je devine que cet argument le touche comme il aurait ému son frère.

— Je ne t'ai rien caché, reprends-je. Je t'ai avoué notre propre tentative de maîtriser le souffle. J'aurais pu nier, mais je t'ai tout raconté, sans chercher à dissimuler notre erreur. Nous n'avions que trois reliques et les conséquences furent désastreuses. Tu dois m'aider à convaincre le cardinal Marliano de renoncer à son projet.

Il passe une main dans ses boucles, l'air d'hésiter sur la conduite à tenir, sa façade d'assurance ébranlée.

— J'ai vu les ravages dans la Toile. Giulia m'a dit que c'est vous qui les aviez provoqués. Vincenzo pense que le souffle de Dieu peut tout réparer. Qui dois-je croire ? conclut-il avec un ricanement désabusé.

— Giulia vous ment, au patriarche et à toi. Elle vous manipule pour arriver à ses fins.

— Il est clair que Madame de Gandolfi n'a pas été honnête avec moi.

Je perçois la déception dans sa voix. Nourrissait-il des sentiments pour l'Italienne à la beauté trompeuse ?

— Vous dites peut-être la vérité, continue-t-il, mais j'ai entière confiance dans le patriarche quand il affirme pouvoir tout réparer. C'est un homme bon et pieux.

— Il se fourvoie !

Son visage se referme immédiatement. Je suis parvenue à semer le doute concernant Giulia, mais sa foi dans le cardinal Marliano demeure inébranlable.

— Vous ne comprenez pas. Vincenzo est comme un père pour moi, explique-t-il, plein d'admiration. Je suis un orphelin, abandonné à la naissance devant la porte d'un monastère, près de Mestre. Je devais avoir cinq ou six ans quand Vincenzo a séjourné quelques mois parmi les moines qui m'avaient recueilli. Il a reconnu mon don et m'a adopté. Ses connaissances sur la Toile sont sans limites. Il est guidé par la main de Dieu, je lui confierai ma vie sans hésiter.

Ses yeux s'éclairent d'une conviction indéfectible.

— S'il dit qu'il peut guérir la Chrétienté, alors je le crois.

À son ton définitif, je sais que je n'obtiendrai rien de plus de lui.

— Mets-le au moins en garde contre Giulia, qu'il se méfie d'elle et de l'Ordre, supplié-je.

Il acquiesce avec une moue pincée.

— Je lui transmettrai votre avertissement.

Je soupire intérieurement. Je vais devoir me contenter de cette demi-victoire.

Hans hésite encore.

— Tu n'es pas la femme cruelle que Giulia m'a dépeinte, médite-t-il d'une voix pensive.

Je tressaille devant ce tutoiement nouveau. Avec ce mot tout simple, une barrière s'effondre entre nous. Ai-je réussi à le toucher ?

Il se dirige vers la porte, puis se retourne avec un regard plus doux.

— Tes compagnons vont bien. Le patriarche a insisté pour qu'ils soient tous traités avec respect. Ils ne sont plus au sous-sol où tu les as vus le premier soir. Ils ont chacun leur chambre, dans la deuxième aile du palais.

Je respire comme si un poids se levait de ma poitrine. En quelques phrases toutes simples, Hans dissipe l'inquiétude permanente qui me taraudait. J'apprécie ce cadeau à sa juste valeur.

— Merci ! soufflé-je du fond du cœur.

Sur une dernière impulsion, j'ajoute :

— Tu devrais parler à ton frère. Je suis sûre que vous vous entendriez bien tous les deux.

Il se raidit à ces mots et sort sans me répondre.

Le crépuscule des VeilleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant