21. Un mort en sursis (1/2)

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 Le vent se lève. Les bourrasques courbent l'herbe du pré, hululent en plaintes sinistres et arrachent les feuilles des arbres. Les bâches de nos chariots claquent leur récrimination.

Après la déclaration fracassante de Geiléis, plus personne n'ose prononcer un mot. Fabrizio et Guy se comprennent d'un regard et portent João endormi jusqu'au campement. Je me lève avec difficulté, les dents serrées sur une protestation. Les morsures des chiens ont mis ma chair à vif. Je claudique vers les restes de notre feu comme un vieillard de quatre-vingt-dix ans perclus d'arthrite et me laisse tomber à côté de Pedro.

Notre palefrenier dort toujours d'un sommeil bienheureux. Sans que je sache pourquoi, une grosse boule se loge dans ma gorge. J'ai envie de pleurer ; pourtant, mes yeux restent secs. Les larmes m'ont déserté en même temps que les forces. Toute la tension qui me maintenait en éveil s'envole, emportée par le vent. Ma tête dodeline toute seule. Je flotte dans un épais brouillard, bercé par une morne complainte.

Heinrich s'assied à mes côtés sans un mot. Ses yeux azur semblent lire l'épuisement dans les miens ; il passe son bras autour de mes épaules, dans un geste compatissant. Je me raidis un bref instant, puis toute honte s'évapore ; j'appuie ma tête contre sa poitrine. Mes muscles se dénouent sur un soupir las.

Geiléis pénètre dans la roulotte de João à la suite de Fabrizio et Guy. L'Italien ressort peu de temps après et secoue Pedro avec une prévenance inhabituelle. L'Espagnol émerge de son sommeil dans un sursaut surpris. Je les entends murmurer, mais ne saisis pas leurs paroles. Tout paraît lointain. Je ferme un instant les paupières.

Me suis-je assoupi ? Je me rends soudain compte de la présence de Geiléis, accroupie devant moi. Elle m'adresse un sourire compréhensif, rehaussé d'une douce chaleur. Comment peut-elle encore sourire après ce qui vient de lui arriver ? Je ne comprends pas où elle puise son énergie. Je papillonne des cils et lui renvoie une grimace désolée. Elle m'attrape le bras avec une tendresse maternelle.

— Viens, Guillaume. Tu ne peux pas rester ainsi.

Elle m'aide à me lever. Mes muscles refroidis protestent devant cet effort supplémentaire ; le mouvement brusque réveille mes plaies à vif. Un hoquet plaintif m'échappe. Je m'appuie d'un côté sur le bras de Heinrich, Geiléis me soutient de l'autre. Ainsi attelé, je clopine lamentablement jusqu'à notre chariot.

D'une pression douce, mais ferme, la guérisseuse m'assied sur ma paillasse. Elle nettoie d'abord les morsures avec des gestes précautionneux. Ses doigts effleurent ma peau comme une caresse et je m'abandonne à ses soins avec volupté. Ensuite, elle applique un cataplasme à base de plantes, puis enroule délicatement des bandages de lin autour de mes poignets et mes chevilles. À ce rythme, nous n'aurons bientôt plus une seule chemise à nous mettre !

— Tu as eu de la chance. Les chiens ont avant tout cherché à t'immobiliser. Leurs crocs se sont enfoncés profondément, mais ils n'ont pas déchiré les muscles. Tu dois cependant éviter tout effort violent pendant plusieurs jours.

Je l'observe avec une fascination nouvelle. Dans la pénombre de l'aube naissante, ses traits m'apparaissent un peu flous. Sa tête se penche sur mes bandages pour une dernière inspection. Ses nattes tombent en cascade ardente autour d'elle. Je vacille et pose la question qui me brûle les lèvres depuis le départ de la Horde Sauvage.

— Le Grand Veneur... il était devant moi, avec son arc. Pourquoi n'a-t-il pas tiré ? Pourquoi ne m'a-t-il pas emporté ?

Geiléis relève lentement la tête pour plonger dans mon regard trouble. Elle pose sa main sur la mienne.

— Le chasseur cherchait l'âme de Guillaume Deschamps. Nos ennemis en avaient payé le prix. Or, nous savons tous deux que ce jeune garçon n'existe pas. Lorsque le roi de la Horde Sauvage s'en est rendu compte, il t'a relâché. Les anciennes lois lui interdisent de s'emparer d'une âme innocente.

Le crépuscule des VeilleursWhere stories live. Discover now