29. Le revers de la médaille (1/3)

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 Une fois le premier instant de stupeur passé, je me retrouve assaillie de questions de tous côtés auxquelles je tente de répondre tant bien que mal. De fil en aiguille, je parle de mon père, du médaillon, de ma soirée de la veille et de la conversation surprise dans la tente de Philippe.

— Philippe de Beaune ! s'exclame Guy en se frappant le front. Je savais bien que j'avais déjà entendu ce nom ! Jean d'Andigné l'a prononcé lors de notre visite au Louvre.

Il me regarde et je n'arrive pas à déchiffrer l'expression de son visage.

— C'est donc ton fiancé ? interroge-t-il d'une voix neutre.

Ce mot attise aussitôt ma colère, bouillonnante comme au premier jour.

— Des fiançailles qui m'ont été imposées, ragé-je avec une hargne mordante, nées de la cupidité du roi.

Guy hausse les sourcils devant cet éclat violent, mais ne dit mot. Je prends une inspiration et poursuis plus calmement :

— Philippe m'a remarquée à la cour, à une époque où mon père m'y emmenait encore et s'est rendu plusieurs fois au château d'Uzès pour me courtiser. Je vais sur mes vingt ans, amplement temps pour une jeune femme comme moi de se trouver un mari, pointé-je avec un petit rire désabusé. Je vous ai menti sur ce point également, mais Guillaume pouvait difficilement être si âgé sans éveiller les soupçons. Philippe n'est qu'un bellâtre, un beau parleur insipide, doublé d'un comploteur. Je lui ai fait rapidement comprendre que ses avances étaient malvenues. Mon père lui a refusé ma main.

Je serre les poings comme si ce faquin se trouvait à ma portée. Mes ongles s'enfoncent dans ma chair.

— Seulement, cette vermine est revenue à la charge. Sa Majesté est lourdement endettée. Elle doit une grosse somme d'argent à Jacques de Beaune, le baron de Semblançay, et les caisses du royaume sont vides. Ce dernier a demandé au roi d'intercéder en faveur de son fils Philippe auprès de mon père. En échange de quoi, il s'engageait à effacer une partie de l'ardoise. François a écrit à mon père.

Je baisse la tête, un rictus amer aux lèvres.

— Le soir où mon père m'a annoncé qu'il avait accepté le mariage, je fus prise d'une rage folle. Je suis partie dans la nuit, avec pour seules possessions ma rapière, un cheval et quelques écus. Le médaillon de ma mère au cou, je me suis fait passer pour un jeune garçon. C'était plus sûr ainsi sur les routes. Par crainte des poursuites, j'ai quitté le royaume de France et rejoins le Saint-Empire. La vente du cheval m'a rapporté quelques écus, puis j'ai vécu pendant un an de menus travaux, ici ou là, sans oser m'attarder trop longtemps au même endroit. Je ne suis rentrée en France que peu de temps avant de vous rencontrer. Les voix des rêves m'ont guidée jusqu'à vous.

Je songe un instant aux circonstances qui m'ont conduite vers la troupe de la Dolce Vita, à mes premiers spectacles. Les souvenirs des semaines insouciantes passées dans la compagnie avant les événements dramatiques de Canterbury me mettent du baume au cœur.

— Je n'ai donné aucune nouvelle à mon père, reprends-je, la gorge serrée d'émotion. Je lui en voulais terriblement. C'était stupide de ma part. On ne refuse pas une faveur à son souverain.

Je relève la tête et mon regard croise celui de Guy, toujours aussi sérieux et impénétrable. Je repense à notre fuite, à son sacrifice au nom de notre quête. Sa décision le déchoit du jour au lendemain de son statut de favori. Il n'est plus qu'un paria. Ses terres lui seront certainement confisquées ; il n'obtiendra nul soutien dans le royaume de France. Je ne pouvais pas exiger une telle rébellion de mon père.

En réponse à mon témoignage muet, il m'adresse un signe de tête un peu sec. Nous nous comprenons.

— J'ai appris à Paris que mon père me croyait morte.

Le crépuscule des VeilleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant