23. La cruelle loi du choix (1/3)

160 45 67
                                    

 Des taches de lumières dansent devant mes yeux. Je n'arrive pas à les suivre. Elles m'échappent sans cesse, me narguent malgré mes efforts. Une douleur sourde me lance ; elle émane de mon flanc et résonne dans tout mon corps tel un chœur d'orgue dans une cathédrale.

Je voudrais qu'elle cesse, je voudrais pouvoir me reposer. Mon crâne menace d'exploser, un étau enserre mon front et broie mes pensées. J'essaie de le retirer, de me libérer de cette étreinte, mais mon bras refuse d'obéir. Quelque chose d'important m'échappe, dont je devrais me souvenir. J'ignore quoi. La souffrance a tout emporté.

Des voix bruissent autour de moi, une nuée de mouches irritantes, insaisissables. Une main glacée effleure mon front. Elle ne prend même pas la peine de retirer le carcan de fer qui l'étreint dans ses griffes. Un gobelet se pose sur mes lèvres. Un liquide tiède et amer coule dans ma bouche, sur mon menton, au creux de mon cou. Je déglutis par réflexe. Les voix s'estompent. Les lumières refluent. Les ténèbres m'avalent.

Je flotte dans le vide, simple plume ballottée au gré d'un vent léger. Des sons lointains m'effleurent, ils ne sont pas importants.

Rien n'a plus d'importance.

Je dérive à l'abandon, dans un océan de néant. Un souvenir confus me revient d'un corps qui souffre, mais je l'ai laissé derrière moi. Je ne veux pas retourner d'où je viens. Ici, tout est paisible. Qui suis-je ? Où suis-je ? Rien n'existe. Juste moi. Je ne ressens ni douleur, ni peine, ni joie. Dans cette absence, il n'y a ni passé ni avenir, seulement un présent éternel. Je pourrais bouger, aller explorer plus loin ; quel intérêt ?

Soudain, les voix recommencent, agressives, mordantes. Elles brisent la bulle de paix, sèment les fragments d'un monde de souffrance, de chagrin et d'angoisse. Je recule, m'éloigne. Je ne veux rien entendre, rester à l'abri, être seul, oublier.

Un éclat plus violent perce malgré tout jusqu'à moi : une voix grave, colérique, anxieuse.

— Écoute, c'est ça ou nous le perdons !

Je m'enfonce plus profondément pour échapper à cette agitation. Je retrouve mon cocon de plénitude. Mes pensées s'envolent, libérées du carcan qui les retenait. Elles s'évadent dans toutes les directions et je les regarde disparaître avec soulagement. La douleur et la peur se dissipent avec elles. Les voix s'estompent. Le calme, enfin ! L'oubli.

Surgi de nulle part, un chant lointain m'invite, porté par une tonalité chaude et douce. Il réveille un sentiment confus. Des bribes d'instants heureux oscillent avec moi : un rire partagé, une main qui sèche mes larmes, une épaule qui me soutient. Je tends l'oreille malgré moi, intrigué. J'hésite. Le monde n'est donc pas que douleur ? Oserai-je quitter mon écrin protecteur ? Les lumières chatoyantes renaissent et valsent en une farandole entraînante, envoûtante.

Je leur emboîte le pas.

Des picotements me parcourent. Une sensation de chaleur m'envahit, étrange, mais pas désagréable. Un corps m'attend. Je prends conscience de mes mains, de mes jambes ; je peux bouger, je respire. Les voix m'appellent, presque à ma portée. Je ne crains plus ce qu'elles représentent. Lentement, prudemment, je glisse dans leur direction.

*  *  *

J'ouvre les paupières. Le blanc lumineux de la bâche de toile au-dessus de moi m'éblouit. Des taches jaunes dansent devant mes yeux, puis s'estompent. Ma poitrine se gonfle et s'abaisse sur un rythme lent et apaisant. Des sons diffus me parviennent : des trilles d'oiseaux, le bruissement du vent, des conversations étouffées. Une fragrance d'herbes et de fleurs séchées me chatouille les narines. Elle recouvre des relents plus âcres de sueur et de sang. Je sens les picotements du matelas de paille un peu rêche sous mes doigts. Une douleur sourde émane de mon côté droit. Ma tête pulse d'un battement lancinant, mais je peux penser clairement.

Le crépuscule des VeilleursWhere stories live. Discover now