11. Trois fleurs de lys (2/2)

148 33 78
                                    

Le soleil descend lentement vers l'horizon et inonde les falaises d'un bain orangé. Les toits de chaume du port de Douvres s'embrasent sous la caresse du couchant. Des volutes de fumée s'échappent des cheminées et diffusent dans l'air les odeurs alléchantes du repas du soir. Les maisons de pierres grises se serrent en brebis craintives entre les murailles de craie blanche et la mer aux tons cobalt. Depuis les hauteurs, un château fort flanqué de son imposant donjon veille sur le repos des habitants et rappelle la longue inimitié entre Anglais et Français.

João et moi nous enfonçons dans un dédale de ruelles tortueuses qui débouche sur les quais encore animés à cette heure. Les odeurs de ragoût cèdent la place à celles, plus douteuses, du varech fermenté, du poisson avarié et du goudron frais. Je tends une oreille nerveuse vers les rires gras et les chansons avinées des tavernes avoisinantes. Pour me rassurer, je pose la main en évidence sur la garde de ma rapière. La longue épée de João lui bat au côté tandis qu'il avance du pas tranquille d'un soldat en terrain familier.

Je tâtonne l'aumônière à ma ceinture, renfermant le précieux mot de Guy. Mon compagnon porte l'or de Gandolfi que Fabrizio lui a confié avec une réticence prononcée. Nous détenons toute notre fortune et je ne peux m'empêcher de jeter des coups d'œil fébriles à la ronde, les nerfs tendus, prêt à dégainer au moindre signe menaçant. Des marins se bousculent autour de nous, s'apostrophent par-dessus nos têtes. Heureusement, personne ne songe à chercher querelle à deux hommes armés. Les rudes matelots n'ont à l'esprit qu'une chopine de bière fraîche, un verre de cette eau-de-vie de malt dont sont friands les Anglais ou une fille facile pour se détendre après leur journée de mer.

João interroge des pêcheurs en train de replier leurs filets. Ceux-ci nous dirigent vers les quais du port où sont amarrés les plus gros navires. Nous parcourons les planches de bois glissantes des pontons d'accostage en observant les bâtiments. Le vent se lève, fait claquer les voiles que les marins sont en train de replier. Une fragrance salée d'embruns me pique le nez ; j'éternue.

Le petit Portugais me désigne un bateau un peu plus loin.

— Cette caraque là-bas, c'est juste ce qu'il nous faut.

J'observe le grand navire à la coque arrondie. Pour ce que je peux en dire, il ressemble comme deux gouttes d'eau à celui sur lequel nous avons traversé la Manche, avec ses deux mâts, son gaillard d'avant où loge l'équipage et son gaillard d'arrière avec la dunette et le gouvernail. Je me gratte la tête, perplexe.

— Comment peux-tu le savoir ?

— C'est un navire marchand avec un bon gréement : grand mât avec la place pour un hunier, mât d'artimon gréé d'une voile latine pour la manœuvrabilité, beaupré. Il doit jauger au bas mot trois cents tonneaux. Le nom inscrit sur la coque est français. De plus, sa ligne de flottaison est haute : il doit être chargé et prêt à partir. S'il venait d'arriver, les marins seraient affairés autour pour le déchargement.

Je hausse un sourcil impressionné. João parle avec l'assurance d'un connaisseur et sa voix vibre d'un accent passionné fort différent de son timbre taciturne habituel.

Quelques questions plus tard, nous sommes dirigés vers une taverne à l'écart de l'agitation des docks. Avec ses renforts de briques et son toit d'ardoises, l'établissement paraît moins misérable que les taudis branlants du bord des quais. Des bribes de chansons égrillardes s'échappent par les fenêtres. Dès notre entrée dans la salle principale, je suis assailli par les effluves aigres des corps rassemblés, mêlée aux relents de mauvais vin et de bière. Je fronce le nez et jette un regard circonspect à la ronde. La clientèle trinque en bonne entente. Quelques curieux lèvent la tête, puis replongent aussi vite dans leurs conversations.

Le crépuscule des VeilleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant