36. Mensonges et trahisons (2/2)

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 Je cherche Hans des yeux avec une fébrilité piquée d'urgence.

Je l'aperçois un peu plus loin en grande discussion avec une jolie demoiselle. À côté de moi, Philippe est lancé dans un échange de vues animé avec un marchand génois sur les différentes qualités de soie et m'ignore complètement. J'hésite le temps d'un clignement de paupières, puis laisse mon fiancé à sa conversation passionnante et m'approche de Hans à grands pas. Il me remarque au dernier moment avec un regard courroucé.

— Que veux-tu ?

Mes yeux effleurent la jeune femme en somptueuse toilette. Il n'a pas l'air désireux de s'éloigner de ses oreilles indiscrètes.

— As-tu transmis mon message au cardinal Marliano, comme tu me l'avais promis ? demandé-je.

Hans esquisse un geste agacé.

— Je n'en ai pas eu l'occasion, figure-toi. Après ton... coup d'éclat, j'ai eu autre chose en tête. De plus, Son Excellence était très occupée tous ces derniers jours, jusque fort tard.

Je grimace devant le reproche implicite dans sa voix. Le patriarche devait travailler avec acharnement sur sa traduction suite à la défection de Guy. Mes craintes se confirment : la présence de Marliano dans ce salon signifie qu'il a terminé. Je dois agir maintenant.

— Son Excellence est ici ce soir, remarqué-je avec un geste en direction de la soutane écarlate.

Le patriarche conclut sa discussion avec mon ennemie. Il retraverse la pièce en sens inverse d'un pas impatient. Je crains qu'il ne reparte aussitôt.

— Est-ce si important ? soupire Hans, exaspéré. Je lui dirai demain.

— Tout de suite, je t'en prie, supplié-je, ou il sera trop tard.

Le jeune homme regarde Marliano qui atteint la porte, puis lève les yeux au ciel.

— Très bien, d'accord, je vais lui parler, concède-t-il de mauvaise grâce.

Il adresse un mot d'excuse à la demoiselle et file intercepter son père adoptif.

Je m'apprête à rejoindre Philippe, lorsque mon regard s'arrête sur Giulia. Cette comploteuse entraîne le cardinal Luzzi à l'autre bout de la salle, en direction d'un double battant. Je me fige sous une tentation impulsive, audacieuse, dangereuse. Personne ne me surveille. J'hésite le temps d'un mordillement de lèvre, mais l'occasion est trop belle. Ni vu ni connu, je les suis, le cœur battant. Le couple sort sans se retourner. Je compte jusqu'à dix et franchis le seuil à mon tour.

Je débouche dans un long couloir désert au moment où une porte se referme sur un pan de manteau rouge. Je m'avance avec la précaution d'un voleur en chasse – si je suis surprise ici, j'aurai de gros ennuis. L'épais tapis assourdit mes pas ; même mon cœur retient ses coups. Je colle mon oreille au panneau. Aucun son ne filtre. Pourtant, je dois savoir ce qui se dit dans cette pièce.

Je m'Éveille. La Toile oscille sous mes yeux, souple, mobile. Ses mailles lâches répondent au moindre de mes gestes, comme une amie fidèle. Avec une infinie délicatesse, j'attrape un fil doré qui s'enfonce au travers du bois. Rien ne frémit. J'esquisse un petit sourire de victoire et tire le brin fragile à mon oreille ; les voix de mes ennemis me parviennent aussi clairement que s'ils m'incluaient dans leur conciliabule.

— Et il souhaite démarrer le Tissage à l'aube, demain matin, explique le timbre précieux de Giulia. Je vais envoyer Torque rassembler les membres de l'Ordre présents à Venise. L'heure a sonné.

Je réprime un sursaut d'horreur. La garce n'attend même pas le mariage ! Elle va nous prendre de vitesse sur notre propre plan !

— Nous ne serons pas au complet, objecte la voix sirupeuse de Luzzi. Les autres ne vont-ils pas s'étonner que nous déclenchions le Nouvel Éveil sans eux ? Si vite ? Pourquoi cette précipitation ?

Le crépuscule des VeilleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant