Chapitre 19

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Je n'ai jamais été autant au calme que depuis cette semaine. Pourtant, un trouble immense s'est installé dans mon cœur. Je ne sais pas quoi penser de tout ceci, c'est assez... confus je dirais. Mais au moins, le feu qui brûle dans ma poitrine est clair. Il n'a qu'un seul destinataire, et désormais, je ne peux plus fuir comme le lâche que j'ai toujours été.

Fuir, ça a toujours été la solution de facilité, la solution de prédilection que j'ai employée, pour ne pas voir la réalité. J'ai fui loin dans les nuages lorsque je voyais les ennuis arriver chez moi. J'ai fui sous la couette, lorsque ma mère avait besoin de moi. J'ai fui dans mon imaginaire lorsque la lave-savon débordait. A présent, il me faut faire face à cette réalité. Même si elle ne me plait pas toujours. Parce que fuir, c'est repousser les problèmes, et les problèmes reviennent toujours dans le visage de celui qui les fuis, comme un odieux boomerang.

Mercredi après-midi, celui qui fait frémir mon être tout entier m'a demandé une chose assez étrange : j'ai dû entrer dans la baignoire, pendant qu'il la remplissait de pétales de roses. Puis, il m'a maquillé les yeux, et a pris une photo, pour sa prochaine œuvre d'art m'a-t-il annoncé, et il n'a aucune raison de me mentir. Et même s'il me mentait, il est dans son droit me semble-t-il. Après tout, il aurait bien pu me jeter en pâture aux loups qui se disent protecteurs des gens de l'ordinaires, ses gens qui avec leurs collègues font la circulation, aident les gens dans le besoin. Du moins en apparence. Oui, il aurait pu me jeter à ces loups qui se disent bergers.

Si cette scène aurait pu effrayer n'importe quel aveugle incapable de voir la beauté derrière cet homme, moi, je sais que je peux lui faire confiance. Il m'a de lui-même intégré à son travail selon ses dires. Il me veut même pour juge. Pour juge ! Jamais je n'aurais pu rêver de quelque chose de plus incroyable, vraiment. On estime que je suis à même de juger ! Moi, le rat d'égout sans importance ! Moi, le chiot aux pattes brisées, la bête dont on ne veut pas, le mouton noir aux cheveux blancs !

Mais surtout, je suis libre de mes mouvements ! Il me fait confiance à présent, et il me laisse vadrouiller, à condition que je ne rentre pas dans les pièces qui donnent accès à une fenêtre. Je le comprends, je suis assez visible, et depuis lundi, je suis principalement resté dans sa chambre, je suis quitte de faire des erreurs. Et puis, il y fait chaud, et surtout, elle lui ressemble, car d'un étrange, mais apaisant raffinement. Tout y est ordonné, parfaitement rangé, et il passe un temps non négligeable à refaire son lit chaque matin, prenant tout son temps, comme s'il n'avait que ça à faire. Puis, j'ai compris.

Il m'a fait entrer dans la pièce où l'autre espèce de chose avait osé poser les escarpins. Et je comprends que Jean ne se soit pas senti très bien lorsque je lui ai indiqué qu'elle y était entrée : c'est là où il crée, où il se laisse traverser par son imagination, et où enfin il devient cet être hors du commun, ce créateur divin, celui qui donne la vie à la beauté subtile, délicate. Comme les fleurs qu'il a utilisé pour me parer.

Il y a des toiles vierges partout, ainsi qu'une multitude de tubes de peintures, de pinceaux usés, et de tout un tas de matériel que je ne connais pas pour la plupart. Mais il est vrai que moi, je ne suis pas peintre. Lui, il est, il est peintre, créateur, et je sais que, parce que sa mère lui avait donné la moitié de sa fortune, il n'avait pas de soucis à se faire pour l'argent.

A ce sujet, faire fructifier sa richesse n'avait pas été difficile, et puisqu'il vendait ses toiles à prix d'or, il ne s'en sortait pas trop mal. Parler de sa mère ne semblait pas l'avoir réjoui, j'en ai conclu que cela ne se passait pas très bien entre eux. A mon avis, c'était même un euphémisme que de dire cela. Elle semble morte a priori, mais il n'a pas beaucoup développé. En vaut-elle le coup ? Sans doute pas, il l'aurait laissé supposer sinon.

SilenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant