Chapitre 12

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Me voilà attaché sur une chaise, avec pour seul membre libre mon bras droit. Je comprends que Jean prenne des précautions, après tout, je lui ai dit de moi-même que je ne m'enfuirai pas, n'importe qui d'un peu sensé saurait qu'il y a anguille sous roche, et je le suspecte de vouloir me poser des questions. Je suis résolu à lui dire ce que j'ai à lui dire, je pense déjà à ce que je vais lui écrire, qu'il y soit préparé ou non. J'ai eu le temps d'y penser à vrai dire.

Me voilà donc en face d'une table plutôt bien dressée, je n'y connais pas grand-chose, mais je peux dire que les assiettes et les verres sont de très bonne facture. Idem pour les couverts. Il prend beaucoup de précaution pour faire ce genre de choses, au moins il est particulièrement minutieux à propos d'un sujet.

Et pendant tout ce temps, une musique résonne dans la pièce, mais je ne saurais dire quoi, pas comme si le sujet m'intéressait. Et lui, de son côté, prépare quelque chose, et avec beaucoup d'entrain d'après ce que je peux voir et entendre à travers le filtre de la musique. Et des questions se bousculent dans ma tête, et je n'y ai pas la moindre réponse. Pourquoi tant d'entrain alors qu'il ne supporte pas le bruit ? Pourquoi tant d'entrain alors qu'il s'agit simplement de préparer un repas ? Pourquoi m'a-t-il fait monter ? Que va-t-il bien pouvoir se passer ? Les réponses me viendront, certainement, sans doute, peut-être.

Et lui, il semble simplement heureux en découpant, en assaisonnant, en faisant rissoler le contenu de sa poêle, comme si c'était un jeu, comme si c'était la plus belle chose du monde. Et moi, je le regarde cuisiner, c'est tout ce que je peux faire. Au moins c'est beau à voir, et même, ce n'est sans doute pas que beau. Si je le pouvais, je me pencherais sur son travail, car tout cela sent terriblement bon, je dois bien l'admettre. Il prépare de la viande, mais quoi, je n'en sais rien... bah, nous verront bien de toutes façons. J'espère que j'y aurais droit bientôt, parce que je veux bien reconnaitre que j'en salive d'avance.

— Encore un peu de patience... tout sera bientôt prêt... Je ne voulais pas gâcher ce précieux moment à venir, alors ce soir, nous nous contenteront de restes... J'ai pu récupérer quelques morceaux de premier choix... Tu m'en diras des nouvelles ! En plus, ce n'est pas spécialement difficile à préparer, loin s'en faut. Bien entendu, cela n'est pas digne d'être appelé session de gastronomie, mais c'est déjà mieux que rien. J'espère que tu apprécieras ce repas, je me suis tout de même donné du mal ! Mais si cela n'est pas à ton goût, alors je pourrais le comprendre, ce n'est pas n'importe quel néophyte qui peut profiter pleinement de ce goût si singulier !

Et désormais, il ôte son tablier d'un blanc immaculé, et amène la poêle dans laquelle il a fait rissoler la viande d'un pas lent, calme et détendu. Il la sert délicatement, sans se presser, avec de la grâce, de l'élégance, je vois bien qu'il y est habitué, qu'il sait donner sa cuisine en spectacle. Puis, après cette action, le voilà en train de servir quelques fagots, et de se mettre à table à son tour après avoir délivré ma seconde main.

— Bon appétit !

Et sur ce, le voilà en train de déguster le repas qu'il vient de servir, et avec beaucoup d'entrain, tellement d'entrain que je veux bien croire que tout cela n'est pas empoisonné. Pourtant, il reste digne en mangeant, parfaitement droit et distingué, lent et ordonné. Je tente donc de faire de même, mais ce n'est pas évident, parce que je n'ai pas l'habitude. Mais comme il présente bien, je pense que je devrais au moins faire l'effort d'essayer, c'est la moindre des choses.

Bon sang ! Cette viande... je n'avais jamais mangé quelque chose comme ça... elle est un peu dure, mais quel goût ! C'est sans exagérer l'un des meilleurs plats que j'ai pu manger jusqu'à présent, même si ce n'est pas très difficile... Il prépare bien, c'est certain. Il aurait pu ouvrir un restaurant s'il l'avait voulu, mais bien sûr, l'avis de quelqu'un qui ne sait pas ce que c'est que la bonne nourriture n'a pas beaucoup de valeur.

SilenceWhere stories live. Discover now