Chapitre 14

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Les choses se bousculent ces temps-ci. Après une après-midi et une soirée toutes deux pour le moins inhabituelles, voilà à présent Jean qui tombe comme une masse dans son lit, comme si le poids du monde entier s'écrasait sur ses épaules. Je sais un peu ce que c'est. Le sommeil voulait manifestement s'imposer, car il n'a même pas pris la peine d'éteindre la lumière mais cela ne me dérange pas, j'ai l'habitude de dormir avec la lumière allumée. En fait, je pourrais dormir à peu près n'importe où, dans à peu près n'importe quelle situation. Peut-être est-ce aussi son cas ? Qui sait, peut-être ai-je raison, bien que je ne puisse pas le savoir pour l'heure. Peut-être que cela viendra un jour. Ou peut-être pas. Je ne sais pas.

Curieusement, je le trouve beau, effondré dans son lit, recroquevillé sur lui-même, les genoux presque collés à son menton, comme le fœtus dans le ventre de sa mère, qui protège instinctivement ses organes fragiles et mous. On dirait presque un tableau, c'est bizarre et touchant en même temps, je ne sais pas comment l'exprimer.

J'ai beau être attaché, je peux me lever un peu, pour me rapprocher un peu de lui. Et je dois bien admettre que le regarder dormir est une expérience étonnante, presque satisfaisante. On dirait un petit animal sauvage apeuré, et lorsque je le vois s'agiter dans son sommeil, alors je comprends qu'il n'est pas aussi fort qu'il veut le laisser paraître. Nous avons tous des points faibles bien sûr, lui compris, et cela, j'avoue ne pas y avoir pensé plus tôt. Auparavant, j'aurais immédiatement songé « ce point faible, je peux peut-être l'exploiter ». Mais maintenant, je ne sais plus quoi en penser. C'est bizarre.

Il s'agite, pleure même. A dire vrai, j'ai de la pitié pour lui, je comprends ce qu'il semble ressentir au fond de son cœur. Enfin, je comprends... je pense comprendre, je crois comprendre. J'espère aussi en fait.

Je peux même entendre quelques mots dans l'amas de sons qu'il émet, des sons qu'il abhorrerait s'il les entendait de la bouche de quelqu'un d'autre. Heureusement que lui et lui sont uns. Et quelque chose frappe mon cœur : ces mots sont des mots d'enfants, des mots qui disent « laisse-moi », « je veux vivre », « je ne veux plus souffrir ». De quoi faire poindre quelques larmes salées des yeux des fragiles. Donc de mes propres yeux. Ça coule un peu, pas trop. Pas trop, mais un peu quand même. Une ou deux gouttes, pas plus. C'est déj bien ceci dit.

Il ne cesse de se tourner et de se retourner, et je peux constater une expression d'angoisse profonde sur son visage endormi, et pourtant si agité. Il a souffert, il a peur, il pleure presque, et moi aussi, je sens des larmes plus grosses qui s'étranglent au coin de mes yeux. Je crois que c'est la première fois que je laisse cet acide tomber pour quelqu'un et non pas une simple scène.

Mais quand j'y pense, il n'y a rien d'illogique : il prend soin de moi, et même s'il me maintient prisonnier, qu'il me menace directement de mort, il a ses raisons, et je ne doute plus qu'elles soient bonnes. Il veut se protéger, j'aurais sans doute fait la même chose. Il est comme le loup qui a la patte bloquée dans les crocs d'un piège, et par conséquent, il mord quiconque s'approche un peu trop près, comme je l'ai fait. J'ai mérité la morsure, alors je n'ai pas trop à me plaindre, n'est-ce pas ? Oui, c'est sûr.

Maintenant, il se tord, se distord presque, comme si son cauchemar tentait de s'extirper physiquement, je connais ça, et je sais ce qu'il ressent. J'espère que ça n'arrivera pas. Mais je suis attaché, et il m'est donc impossible de tenter de le calmer comme le faisait maman. Je ne peux que constater l'horreur qu'il vit. Pourquoi les choses se déroulent-elles ainsi ? Pourquoi vit-il cette chose-là, dans ces circonstances-là ? Je ne comprends pas, pas trop.

Et lui, commence même à hurler, et dans ces cris épouvantables, je ressens deux sentiments étonnants, un bizarre mélange de haine et de terreur. Puis, il se calme un peu, et avec le calme de ce pauvre homme, un silence apaisant s'installe. Mais va-t-il seulement durer ? Je ne le pense pas.

SilenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant