Chapitre 5

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Il fait froid ici. Enfin, il fait toujours moins froid qu'à l'extérieur. J'espère qu'il va vite revenir, ou qu'au moins il aura la décence de me tuer. Pas comme l'autre porc qui me sert de beau-père. Que lui ai-je fait ? Je n'en sais rien, mais une chose est sûre : c'est sans doute encore un monstre, ceux dont me parlait maman. Ils sont partout, dans toutes les maisons, sur tous les continents. Ils sont vos frères, vos pères, vos oncles. Ils sont tout le monde.

Oui, il est sans doute l'une de ces créatures qui errent dans l'ombre pour faire mal aux autres. Je dois avoir dix-sept ou dix-huit ans cette année, et pourtant, je me surprends encore à croire à ces histoires, mais il faut dire que celles de l'enfance sont toujours les plus marquantes. Et mon vécu m'aide à mieux voir la vérité derrière leur masque d'apparente bonté. Tous des menteurs, des illusionnistes. Mais moi, je vois à travers ces mensonges. Vivre avec l'un d'entre aux aiguise les sens.

Ma main continue de me lancer atrocement, et je n'ai ni la force ni la volonté de lever la tête pour voir de quelle couleur elle est maintenant. Elle doit être bleue ou violette, enfin, pas une couleur saine pour un corps humain. Sans compter que la lumière vraiment faiblarde de cet endroit n'est pas exactement idéale pour voir ce que je veux voir. Enfin, ce que je ne veux pas voir. La seule chose que je regarde, ou plutôt fixe sans vraiment comprendre pourquoi, c'est le truc que cet homme m'a jeté. Cet objet que mon beau-père semble particulièrement apprécier utiliser sur moi pour me punir. Gros porc ignoble.

Enfin, ça me change de son propre jouet. Là c'est pire que tout. Peut-être est-ce une menace. Oui, cela veut sans doute dire : fais du bruit, et tu le reçois. Mieux vaut rester silencieux. Je pense qu'il est vraiment capable de me couper des doigts si je fais trop de bruits, je l'ai vu dans ses yeux presque exorbités, de beaux yeux en temps normal, enfin, du peu que j'ai pu voir. Ce noir qui colore leur iris est tellement éloquent : j'y ai vu sa lassitude, son inquiétude, sa douceur, et il y a peu, sa rage et sa colère, sa folie même si je puis me permettre. Il est étrange, effrayant quand il est en colère. Je comprends pourquoi il a l'air de vivre seul.

Depuis que l'homme chez qui je me trouve est parti de cette cave, j'ai eu le temps de beaucoup réfléchir, c'est l'avantage d'être dans le silence, on pense pour combler ce vide. Penser, pour oublier l'angoisse, la calmer, lui arracher la langue, ce qui est drôle, puisque moi-même si j'ai ce muscle je suis incapable de m'exprimer avec des mots. Pas grave, j'ai une belle écriture pour compenser. J'évite de gaffer, de dire tout haut ce que je ne voulais pas dire par mégarde. C'est mon avantage.

Et pendant ce temps, des questions trottent dans ma tête, sans logique. Comme d'habitude. Parce que la logique déserte toujours dans ce genre de situation. C'est quelque chose qui vient toujours, quelle que soit la mauvaise chose qui se déroule.

Est-ce que mon beau-père va être retrouvé vite ? J'espère que non. On dira encore que c'est de ma faute. Je n'ai jamais rien fait, je n'y suis pour rien. Je hais ces menteurs qui osent affirmer avec aplomb que je suis le responsable de tout le malheur du monde. C'est sur moi qu'il s'abat, alors arrêtez de me donner pour responsable de la souffrance sur terre. Menteurs. Profiteurs. Assassins.

Est-ce que je vais mourir ici, ou alors serai utilisé par cet homme comme le porc m'utilise ? Non sans doute pas, il n'avait pas le même regard emplit de désir primaire et abêti. Plutôt que ces envies ignobles, il m'avait l'air... profondément gêné. Oui, c'est plus ça.

Soudain, un bruit de pas attire mon attention. Ce sont ses chaussures, ses belles chaussures de ville noires dont il ne se dépare jamais, du moins, depuis que je le connais, c'est-à-dire moins de vingt-quatre heures. Mais vingt-quatre heures peuvent parfois suffire pour comprendre quelqu'un mieux que personne. Certains diront le contraire, mais c'est qu'ils n'ont pas eu un vécu qui permet de penser cela. On peut tout à fait côtoyer quelqu'un pendant des années sans en connaître les pires secrets. Et des fois, ces derniers se dévoilent au bout de cinq minutes de rencontre. L'aléatoire est cruel, si cruel...

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