Biohazard - Disparus [ Tome 1 Terminé ]

1. La Plaine ( Partie 3/3 )

« Ils n'ont pas volé leur réputation, en tout cas. » Je statue en grimaçant.

Devant nous sont affalés deux cadavres de bêtes, avec chacun deux trous béants au niveau de leurs jugulaires respectives. Jung et Cléo ont fait un travail propre, d'une précision clinique. Ils les ont bien tués, à des années lumières de la charpie de théropode rencontrée en début de journée.

« Ah bah ça mon gars, on t'avait prévenu. » Confirme le brun à ma droite, les mains sur les hanches.

Cléo se frotte les paumes dans la neige pour rincer le sang coagulé s'y étant fixé. Une moue de dégoût déforme ses lèvres.

« Au moins quand ils sont vivants, ils sont juste hideux. Mais morts, ils sont clairement à vomir. » Décrète-t-elle.

« C'est sûr qu'ils ne feraient pas l'unanimité en concours de beauté, mais au moins ils sont denses comme du fer et leur viande est plutôt bonne. On en a bien pour une demi tonne, là. »

« Comment vous les appelez déjà ? » Je demande.

« Des Moschops. » Commence Jung. « Mais en vrai, c'est le nom que certains Biozars leur ont filé sans vraiment s'y connaître. D'après Hèl, c'est un lointain cousin de l'espèce en question, mais il a admis que la ressemblance est flagrante. »

Les deux bestiaux ont, il est indéniable, un physique atypique. Particulièrement disgracieux avec quatre courtes et larges pattes plantées comme par erreur sur un tronc massif, ils ressemblent de près ou de loin à des dragons de Komodo un peu obèses et sous stéroïdes. Leur queue est ridiculement petite par rapport à leur circonférence et leur tête présente des orbites aux arcades tellement disproportionnées qu'on en dirait des paraboles. D'épaisses écailles tapissent leur épiderme tout entier.

Un bien étrange animal pour un pareil climat.

Les joues roses à cause de l'intense effort de chasse qu'elle vient de réaliser, Cléo ne laisse aucun doute sur son aversion de tout ce qui ressemble de près ou de loin à un reptile géant.

« Ça serait bien plus facile et moins salissant de leur coller une balle dans le front. » Décoche-t-elle.

Les premières fois, j'avoue avoir été un peu pris au dépourvu devant l'apparente cruauté de la jeune femme. Cependant, depuis les quelques mois que je la côtoie, il me semble y voir quelque chose de différent. Son caractère assertif et ses prises de paroles souvent impitoyables révèlent selon moi d'autres indices qu'un simple manque d'empathie.

Elle n'a pas dû avoir la vie facile. Son arrivée dans le crétacé n'a dû qu'accentuer son pragmatisme à la limite de l'insensibilité.

Elle doit remarquer que je la dévisage puisqu'elle tourne les yeux vers moi pour m'observer à mon tour. Ses yeux charbons me déstabilisent un instant, si bien que je ne détourne pas le regard immédiatement.

« T'es pas d'accord, Léo ? »

Sa question me prend de cours. J'esquive en répondant à côté.

« Je suppose que ça aurait pris moins de temps. »

Puis, voyant Jung froncer les sourcils, je continue.

« Tout en nous mettant pas mal dans la merde. »

Le visage du jeune brun reste tendu, aussi il ne perd pas une seconde pour enchaîner sur ma réplique.

« Tu connais les règles Cléo. Et les risques. »

Il a raison. Il semblerait que ceux qui en ont après les Biozars soient capable de repérer facilement la moindre détonation supersonique d'une arme à poudre. Plusieurs fois par le passé, ils auraient été obligés d'abandonner leur refuge parce qu'un coup de feu aurait resserré le diamètre des zones de recherche qu'ils se donnent tant de mal à fuir.

La concernée a l'air vexé que sa pique, résolument ironique, n'ait pas été intercepté par le filtre à humour de notre coéquipier.

« Je sais, mec, j'essayais d'être drôle, là. »

« Y a un temps pour tout, c'est pas un jeu tout ça, c'est une question de vie ou de mort. » Persiste-t-il.

Aussi vrai que Cléo soit du genre spontanée et parfois têtue, Jung est un personnage clairement frustrant. D'un naturel sérieux, méticuleux et souvent diligent, je ne compte plus les fois ou son manque de second degré m'ait donné envie de me frapper la tête contre un arbre.

« Crois-moi, j'en connais un rayon sur les questions de vie ou de mort. Et elles viennent souvent de ceux qui prennent trop au sérieux les règles et leur propre personne. »

Sa réplique doit remuer le couteau d'une plaie encore ouverte dans le cœur du brun, puisque son visage vire au rouge instantanément.

Il est en colère.

Avant qu'il ne renchérisse sur sa propre diatribe et relance ainsi un des innombrables conflits de mentalités qui gangrènent les membres des différentes strates temporelles, je tente de couper court à la dispute.

« Vous ne pensez pas que ce serait plus approprié d'appeler un rover plutôt que de régler ses comptes ici ? »

Les deux jeunes gens me regardent, visiblement pas de mon avis.

« Promis, quand on sera rentré, je vous laisse vous chamailler autant que vous voulez. » Je recommence, en levant les mains en l'air en signe de reddition. « Mais avant ça, on appelle l'équipe de récup', on les aide à enfourner ces deux bazars et on rentre. »

Un court silence fait suite à ma petite remontrance. Finalement, et contre toute attente, Cléo glousse. Rapidement, c'est Jung qui se met à rire à son tour.

« Vous êtes bipolaire, ou quoi ? » Je demande, très sérieux.

C'est la métisse qui me répond.

« Non, non, c'est juste que se faire faire la leçon par Léopold, alias 'je-cherche-la-merde-en-permanence', c'est assez comique. »

Le brun étouffe un nouveau rire.

« Non mais j' rêve. Je fais le médiateur alors que j'en en personnellement rien à carrer, et ces deux abrutis, ils se payent ma tête. » Je m'agace.

Les deux complices se détendent et recommence à se mettre au travail. Je me sens un peu idiot, mais au moins, les tensions semblent s'être évanouies pour l'instant. Je hausse les épaules, et souris à mon tour.

« Allez-vous faire voir. » Je conclus en soupirant.

Toujours amusé, le jeune homme non loin de moi plonge une main dans son barda et en sort un gadget surmonté d'un petit bouton poussoir. Il l'enclenche.

Il est temps de rentrer au bercail.