1. La Plaine ( Partie 1/3 )

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« Fais chier... J'ai le dos en vrac... »

Je ne peux que compatir à la plainte de la jeune femme allongée un peu plus bas. Nos sommaires hamacs, faits du même cuir d'ailes de ptérosaures que la bâche qui nous surplombe, ne sont pas vraiment des grands crus de confort. Pour détendre l'atmosphère, je tente un trait d'humour.

« Tu peux toujours descendre te construire un igloo. »

Jung, qui n'a pas ouvert la bouche depuis notre installation dans l'abri perché, réprime mal un petit rire involontaire.

« Comme si elle savait ce que c'est qu'un igloo. »

Je souris à mon tour. De là où il est cependant, je doute qu'il puisse s'en apercevoir.

« Ah bah on dirait que y'en a un qui a fini de bouder. » Je ricane.

Le brun ne me répond pas, mais je devine son haussement d'épaules. Je lève les yeux au ciel. Je laisse ensuite ma curiosité prendre le dessus.

« Plus sérieusement, Cléo, ne me dis pas que ne t'as jamais entendu parler d'un igloo ? »

« Nope, Anacro. » Répond-elle, désintéressée.

Anacro. On utilise ce mot tellement souvent qu'on pourrait le prendre pour une onomatopée. À la base, c'est une abréviation d'anachronisme, mais entre Biozar, c'est un peu le passe-partout qui permet de dissiper les incompréhensions dues à nos époques respectives.

« En gros, c'est un p'tit dôme fait en bloc de glace. » J'explique.

« Ça a l'air mortel. » Conclut la jeune femme, sans plus d'intérêt.

Je n'arrive pas à lui en vouloir. Je me doute que les qualités architecturales de quelques tribus polaires lui passent dix kilomètres au-dessus de la tête.

« Si vous vous décidiez enfin à me dire d'où et de quand vous venez, peut-être que ça m'aiderait à pas parler dans le vide une fois sur deux. » Je tente.

C'est Jung qui répond, cinglant.

« Ne recommence pas, Léopold. »

Je soupire bruyamment. Une bourrasque ébranle légèrement le branchage qui nous soutient, distillant sur nous un courant d'air gelé qui ne manque pas de m'arracher un frisson au passage. Je décide d'abandonner mes recherches pour aujourd'hui, ces deux-là sont de véritables tombes. Aussi, j'apprécie véritablement Jung et j'aimerais tout autant éviter d'insister sur un sujet qui semble le mettre en colère. Je m'enroule un peu plus dans ma cape et entreprends de me laisser rattraper par la fatigue d'une longue journée de marche.

Mais alors que Morphée commence à me taquiner les paupières, la voix de la jeune brune au teint hâlé s'élève doucement au travers du conifère.

« C'est pas contre toi. » Elle marque une courte pause. « Disons que l'époque de chacun peut le desservir auprès des autres. L'époque ou l'identité, d'ailleurs. Ici, tout ce qu'on a laissé derrière nous n'a plus d'importance. On aura tout le temps d'extérioriser nos origines quand on sera rentré chez nous. »

Je prends le temps d'interpréter chacun de ses mots, et ne trouvant rien à y redire, je garde le silence.

« C'est mieux comme ça, crois-moi. »

L'intonation de sa voix perd en force vers la fin, ce que je prends à tort pour un signe de condescendance. Avant que j'aie le temps de me raviser, je retorque :

« La provenance de la totalité des rescapés du lazaret n'est un secret pour personne. Alors pourquoi continuer à nous cacher la vôtre ? »

Alors que je pense finalement avoir trouvé une faille dans leur raisonnement, Jung enchaîne dans la seconde.

Biohazard - Disparus [ Tome 1 Terminé ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant