Quarantaine - Jour 24 : Ou comment l'agitation nous gagne.

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Mes yeux suivent avec effroi le corps de cet homme, encore si vif et teigneux il y a quelques secondes, s'effondrer comme un pantin désarticulé. Sa tête est la première à toucher le sol, non sans produire un sinistre craquement au contact du bitume.

La victime – à savoir le chef auto-proclamé du groupe des soldats serbes – n'est inconnu pour personne dans le lazaret, tant son animosité envers le personnel et les autres individus du chapiteau était allé crescendo depuis le début de notre internement. C'est un bonhomme rustre et violent. Je ne me souviens pas bien de son nom : la faute à un patronyme imprononçable. Cajka ou Casva, un truc du genre. Plusieurs fois, on l'a vu cogner sur ses semblables en plus d'avoir craché au visage de l'un des égyptiens, sûrement un peu trop basané à son goût. Les gardes n'ont pas manqué de le rappeler à l'ordre en lui présentant l'agréable compagnie d'un manche de matraque dans le flanc. Cependant, à défaut de le calmer, ces récurrentes bastonnades n'ont fait qu'attiser le feu de sa colère jours après jours.

Inconscient et ventre à terre, le voilà maintenant bien silencieux. Un cercle s'est rapidement rassemblé autour du lieu du règlement de compte. La foule est parcouru d'un murmure qui se repend comme une ola dans un stade de foot. Face à lui, l'homme en uniforme responsable de sa déculotté le regarde un instant, avant de relever son visage vers nous. Il peut voir sur nos visages, qui le fixent depuis quelques minutes, un mélange de surprise, de satisfaction et de peur assez paradoxal.

Surtout de peur, pour être honnête.

Il range son arme contondante sur son ceinturon d'uniforme et adopte à nouveau sa posture droite de soldat.

Il tourne sur lui-même pour jauger de la situation avant d'être rejoint par deux de ses confrères. Ces derniers rejoignent le corps inerte du yougoslave et le soulèvent avant de l'emmener avec eux au travers de la foule. Notre attention reste concentrée sur l'homme en vert foncé plus que sur l'autre trouduc qui méritait mille fois qu'on lui rabatte le caquet.

L'appréhension qui nous serre les tripes s'explique par la façon avec laquelle il lui a fait faire connaissance avec le macadam. Il lui a bien mis deux ou trois coups de matraques, certes, mais devant son évidente volonté d'en découdre, le garde a changé de méthode pour l'intimer au silence.

Après avoir pris un peu de recul avec son adversaire, il s'est contenté de retourner sa trique comme une arme à feu en la pointant sur l'ex militaire. Puis, sans que personne ne comprenne ce qu'il se passe, le voyou s'est vu pris de convulsion et après une phase de rigidité très proche visuellement à celle d'une électrocution, le voilà qui pouvait attester de la dureté du goudron.

Le gardien semble prendre conscience du petit choc émotionnel qu'il vient de nous infliger, aussi il affiche une mine affligée. Sa voix résonne avec ce qui ressemble à du dépit. Mais il se veut tout de même rassurant.

« Pas d'inquiétude. Mon arme l'a juste assommé. Mes collègues l'emmènent en ce moment même de l'autre côté de l'hémicycle où il reprendra ses esprits prochainement. »

Puis son visage s'assombrit et je note un rapide coup d'œil désabusé sur son arme de poing. Il reprend cependant vite ses esprits.

« Je m'excuse d'en être arrivé là, mais nous ne pouvons pas nous permettre de laisser libre cours aux tensions inutiles. La situation est suffisamment compliquée comme ça. »

Sur ces derniers mots, la foule se détend et beaucoup hochent la tête, ultime confirmation que personne ne plaindra le sort du soldat serbe. L'assemblée se dissout rapidement et chacun semble pressé de retourner compter ses moutons.

Pour ma part, je ne peux décrocher mon regard du type en uniforme. Même après son petit discours d'apaisement, je le surprends à rester immobile, tête baissée sur ses bottines. Il semble... lessivé. Pris d'un élan de compassion pour cet individu qui veille sur nous depuis plus de trois semaines, j'ose m'approcher de lui. J'arrive dans son dos et commence à lever mon bras pour lui serrer l'épaule, dans l'idée de lui confirmer qu'il a fait le bon choix.

Biohazard - Disparus [ Tome 1 Terminé ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant