Chapitre 26 : Sernos, vingt ans plus tôt. (2/2)

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Calen n'était pas d'accord avec la façon de faire de l'ambassadeur. Qu'il ne veuille pas brusquer cette jeune fille – dans la mesure où elle était bien responsable de ces vols – était compréhensible. En revanche, elle estimait qu'il fallait la chercher activement. C'était maintenant qu'elle avait besoin d'aide. Le fait qu'elle ne se soit pas montrée au bout de tant de jours indiquait à quel point sa détresse était grande et son discernement faible. Elle prit la résolution de la trouver. Son handicap l'empêchait de mener les recherches elle-même et elle n'avait aucune autorité sur le personnel de l'ambassade. En fait, si elle donnait des ordres, ils obéiraient. Malgré tout, cela resterait un acte d'insubordination. L'ambassadeur serait obligé de prendre des mesures disciplinaires. Dans quelques jours cependant, la délégation du Mustul arriverait. Elle n'avait officiellement pas plus d'autorité. En pratique elle pourrait les convaincre de l'aider. Et l'ambassadeur ne pourrait exercer aucune sanction sur eux pour désobéissance : ils n'étaient pas Helariaseny.

Sa décision prise, elle se leva. Si les vents étaient favorables, elle avait huit jours à peu près avant qu'ils arrivent, très certainement plus. Elle avait du temps devant elle. Dans l'immédiat, elle résolut d'aller rendre une petite visite à un sculpteur qui travaillait dans le quartier adjacent. Elle espérait pouvoir retrouver sa boutique. Dans le cas contraire, un siècle de cécité lui avait appris à ravaler sa fierté et à demander de l'aide. Elle enfila sa tunique prit sa canne et descendit le long de l'écurie.

Dans la Résidence où elle avait grandi, ou dans son fief de Jimip, elle pouvait se déplacer facilement. Elle connaissait tous les trajets par cœur. Le personnel prévenu prenait soin de ne laisser rien traîner qui aurait pu constituer un obstacle et ses assistants anticipaient les problèmes avant qu'ils ne surviennent. Elle avait de l'assurance dans sa démarche. Le résultat était que ses interlocuteurs mettaient parfois très longtemps à s'apercevoir qu'elle était aveugle.

Il n'en allait pas de même dans l'ambassade de Sernos. Elle était plus hésitante, ignorante de ce qui avait pu changer depuis sa dernière visite ou ce que l'on avait pu abandonner sur sa route. Sans compter les habitants de la ville qui pouvaient entrer librement dans l'enceinte, ils ne la connaissaient pas et pouvaient la bousculer, la faire tomber sans le vouloir, par simple ignorance. C'est pour ça qu'elle préféra longer le mur de l'écurie, le suivant d'une main pour se guider.

Dans un monde où les pluies pouvaient se révéler mortelle, une tuile fendue pouvait contaminer toute une pièce. Aussi, la tendance depuis les soixante dernières années était-elle de faire de nombreuses petites salles plutôt qu'une seule grande. Ainsi, en cas d'accident, la contamination restait limitée. L'écurie, récente, respectait ce principe. Au lieu d'une seule grande, il y en avait plusieurs petites accolées les unes aux autres contenant chacune une douzaine de stalles. La deuxième était vide. L'odeur de paille moisie lui fit comprendre que la toiture fuyait, enlever la litière pourrissante était dangereux sans l'équipement adéquat et s'en débarrasser difficile. Il y avait de fortes chances que cette tâche soit dévolue à un service de la capitale yriani. Et tant qu'ils ne seraient pas venus, aucune réparation n'était envisageable.

Un bruit venu de l'intérieur attira son attention. Il était discret et seule la sensibilité accrue de son ouïe, conséquence de sa cécité, était capable de le remarquer. Elle s'immobilisa devant la porte et écouta. Rien. Elle était sûre de n'avoir pas rêvé. Les chocs des épées de bois des soldats qui s'entraînaient la gênaient. Elle ouvrit la porte, entra et la referma derrière elle. Maintenant qu'elle avait obtenu le silence, elle put se concentrer sur tous les sons qui l'entouraient. Elle n'entendait rien, mais elle était sûre qu'elle n'était pas seule.

— Il y a quelqu'un ? demanda-t-elle en helariamen.

Elle répéta la question en yriani, sans obtenir de réponse. Prudemment, elle avança pas à pas, cherchant les éventuels obstacles avec sa canne. N'importe quoi pouvait se trouver devant elle, un seau abandonné, une selle. Personne ne toucherait à rien tant que les spécialistes n'auraient pas tout nettoyé. Sauf un fou suicidaire. Au bout de quelques pas, sa canne cessa de s'enfoncer dans le sol mou sous la paille pour retrouver un terrain dur. La contamination était visiblement limitée à quelques perches devant la porte.

La Paysanne (La malédiction des joyaux - livre 1)Where stories live. Discover now