Ethrian V - Marria

Acte IV, scène 5.

Tinuda et l'étranger.

La Madame s'est allongée près de la tombe et réfléchit intensément.

TINUDA — Je vous le promets, votre Majesté,...mon amour...votre mort sera punie et vengée. Vous pourrez ensuite reposer paisiblement... Méditons sur la situation... Il est évident que le coupable possède véritablement des collaborateurs. Plusieurs complices. Combien ? Je l'ignore. Mais ils sont nombreux. Et ils sont partout autour de nous. A commencer par les serviteurs. Ils s'infiltrent et jouent avec nous. Ils s'amusent à nous rompre. Si nous ne jouons plus, alors ils auront gagné. Afin de contrarier leur victoire, il n'existe qu'une solution : continuer le jeu quoi qu'il advienne. Il faut que nous restions en vie et que nous ne faillissions. Ces conditions suffiront à faire durer la partie. Désormais, il nous faut une contre-attaque. La victoire ne s'obtiendra qu'en répliquant. Nous devons répondre à leurs assauts par l'offensive. Les dénicher, les écraser.

La Madame songe intérieurement à qui pourrait être coupable, marquant une courte pause.

TINUDA — Comment pourrions-nous les distinguer s'ils rodent à chaque recoin du royaume ? Comment déterminer une localisation précise ? A la Capitale, dans un village perdu, dans une immense ville, au palais, nous n'avons aucun indice.

Un raclement de gorge se répercute parmi le vaste silence du cimetière. La Madame sursaute et fait volte-face. Un homme qu'elle ne reconnaît pas s'abaisse à son niveau, accroupi et les mains liées sur ses genoux. Il parait bien vêtu et sa posture est noble.

ETRANGER — Ethrian croule sous son lot d'ennemis au Nord et au Sud. A l'Est, les terres sont sûres puisqu'elles sont contrôlées par les Dames de la Couronne. A l'Ouest, les sujets sont plus ou moins dociles. Il ne reste donc que le Nord et le Sud. Cependant, nous savons que le Sud est régi par les barbares solitaires et qu'ils attaquent usuellement sans se soucier des conséquences. Or, la famille royale est en proie à des agressions coordonnées. De plus, cela est bien connu que les nordiques détestent la Capitale... Certes, vous ne pouvez déterminer un endroit en particulier, mais vous pouvez essayer de procéder par élimination.

TINUDA, enthousiaste — Ce n'est pas idiot ! De toute manière, je n'ai d'autres solutions.

ETRANGER — En effet. Donc, reprenons ! Le Nord semble être l'endroit le plus probable. Vous devez resserrer les possibilités.

TINUDA — Où sont-ils ? Ont-ils un refuge ? Ou se regroupent-ils de façon aléatoire ? Ils se rejoignent forcément à un moment afin de discuter. Des attaques aussi bien organisées sont méticuleusement préparées. Par lettres, cela rendrait tout compliqué. Et puis, ils doivent être certains de ne pas faire d'erreur.

ETRANGER, avec une moue contrariée — Vous ne parviendrez pas à les trouver si vous vous posez constamment les mauvaises questions.

TINUDA — Que devrais-je questionner alors ?

ETRANGER — Pas où. Mais qui.

TINUDA — Au Nord, les paysans sont plutôt obéissants et malléables. Ils ne rouspètent jamais et acceptent les ordres de la Capitale. Ce ne sont pas eux. Ils ne seraient pas en mesure de commettre des crimes aussi précis...Ceux-ci nécessitent de la richesse. Pour payer les mercenaires, les serviteurs infiltrés, les pots-de-vin. Des nobles ?

ETRANGER — Je serais même plus audacieux, Madame ! Je suggère tous les nobles nordiques.

TINUDA — Pourquoi ? Développez votre cheminement, s'il vous plaît.

ETRANGER — Eh bien, ils haïssent tous la Capitale et le défunt Roi. Alors, si une poignée d'entre eux se liguent contre vous, les autres suivent obligatoirement.

TINUDA — Devrions-nous arrêter et exécuter tous les nobles du Nord ? Et que faisons-nous des infiltrés ? Ils constituent une menace bien plus proche !

ETRANGER — Ils agissent pour les puissants. Sans eux, ils s'agiteront, mais ne répliqueront.

La Madame se redresse hâtivement, un sourire éblouissant au visage. Elle s'adresse à la tombe de son amant.

TINUDA — Le cauchemar va cesser. Je m'apprête à vous venger, mon amour. Vous, le Prince hériter et le troisième Prince ! Ainsi que Lord Estebar et la Princesse Jaessamine. Tout rentrera dans l'ordre !

Elle esquisse un mouvement de recul, mais rencontre un corps rude. Celui de l'inconnu.

ETRANGER, les lèvres pincées — Je suis fâché et sincèrement ennuyé. Vous me désappointez.

TINUDA, désorientée — P-Pardon ? Je ne suis pas certaine de comprendre.

ETRANGER — J'espérais davantage de vous. On me vantait vos mérites. On me racontait que vous étiez dotée d'une intense intelligence... Je présume que la perte du Roi vous a troublée... Quel gâchis !

TINUDA, la patience s'envolant — Exprimez-vous convenablement !

ETRANGER — Vous ne vous posez pas les bonnes questions. Votre esprit n'est pas tourné vers les éléments décisifs. Vous ne prêtez pas attention aux détails. Dont un qui aurait pu vous sauver la vie... Cependant, vous ne l'avez constaté.

TINUDA — Me sauver la vie ? De quoi parlez-vous ? Quel détail ? Qui êtes-vous ?!

ETRANGER — Ah ! voilà une question intéressante. Dommage que vous la posiez trop tard. Mais je peux quand même vous répondre.

Plus l'inconnu s'avance, plus la Madame recule. Elle a peur, mais ne le montre pas.

ETRANGER — Mon accent. Ne l'avez-vous pas perçu ? Il est discernable pourtant !

TINUDA — Monsieur, ne vous approchez plus ! Vous proclamez des absurdités, reprenez-vous !

ETRANGER — Mon accent, d'où provient-il ? Faites un effort !

La Madame se fige brutalement, les yeux écarquillés, tremblante du bout de son crâne à ses orteils.

TINUDA — Du Nord.