Acte IV, scène 2.

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Tinuda.


La Madame erre, telle une âme en peine sans essence, vidée de toute émotion, la tête dodelinant sur ses épaules, les yeux embrumés, les bras ballants.

TINUDA Vous avez été un bon fils. Toujours sage et respectueux, vous vous incliniez devant tous et ne rechigniez jamais. Vous vous tuiez à la tâche, vous ne réfléchissiez point et fonciez. Dès que votre paternel vous appelait, vous arriviez sur le champ. Vous ne remettiez en cause ses méthodes et décisions, même si vous étiez contre. Vous vous taisiez et patientiez d'être sur le trône à votre tour. Vous étiez si fidèle... N'importe quel homme aurait souhaité un fils comme vous.

La Madame perd soudainement l'équilibre, mais se rattrape de justesse à un arbre. Le vent fait voltiger ses cheveux sur son visage, mais elle ne cherche pas à les enlever.

TINUDA Vous avez été un bon père. Contrairement au vôtre, vous demandiez machinalement l'avis de vos enfants afin de choisir au mieux. Vous étiez prudent avec eux, vous les dorlotiez et faisiez tout pour leur bonheur. Vous avez même accepté le mariage d'Estebar et de Jaesa. Je n'y ai cru au début, j'ai pensé que vous le refuseriez catégoriquement et vous auriez eu raison. L'âge, les rangs, les fonctions, de nombreux obstacles les entravaient. Pourtant, et uniquement car vous désiriez le bien-être de votre fille, vous avez consenti à l'union. Vous avez agi ainsi avec tous vos enfants. Raen, Ar, Tyvan, Morran et Kith, vous les laissiez choisir s'ils voulaient ou non leurs épouses. Perdre une alliance n'était important selon vous. Ils l'étaient davantage. Quant à Diril, jusqu'au bout, vous l'avez protégé. Vous l'avez épargné bien qu'il avait commis une trahison envers Ethrian, envers vous. Sans une once d'hésitation, vous l'avez pardonné. En réalité, je ne pense pas que vous lui en ayez voulu un jour... Vos enfants ont eu beaucoup de chance.

La Madame se sépare de son arbre, mais ne peut enchaîner deux pas sans chuter. A genoux, elle ne tente de se relever. Elle fixe simplement le ciel, profondément abattue.

TINUDA Vous avez été un bon amant, mais également un bon mari. Vous avez réussi à jongler entre trois femmes, et vous n'en avez soustraite aucune à votre vie. La Reine-mère ; si elle détenait votre dégoût, vous ne le lui avez montrée. Vous êtes resté respectueux et conciliant. La seconde Reine ; vous m'avez présumée constituer une menace et vous l'avez préservée en l'éloignant de moi. Vous n'avez réussi à la conserver de mes foudres, mais vous avez incroyablement essayé toutes ces années. Elle était la mère d'un de vos enfants et vous ne pouviez vous résoudre à la perdre. Et moi ; malgré tous mes horribles actes, malgré l'assassinat que j'ai engendré, malgré ma jalousie et malgré les lois qui nous repoussaient, vous ne m'avez rejetée. Inlassablement, vous me gardiez auprès de vous... Je suis heureuse de vous avoir aimé.

Tinuda rampe dans l'herbe humide. Il a plu quelques heures plus tôt. Le sol est sec, mais l'atmosphère est encore fraîche. Le soleil culmine dans le ciel nuageux.

TINUDA Vous avez été un bon Roi. Votre famille, vos proches et votre trône. Les trois éléments vous complétant. Sans eux, vous n'étiez rien. Cependant, je crains que, sans vous, nous ne soyons rien. Vous vous êtes battu pour ce siège doré. Vous avez évincé votre père orgueilleux et belliqueux, non pas pour le dépasser, mais afin d'éviter les guerres et la désolation. Votre ascension était souhaitée des sujets, vous n'étiez pas un imposteur comme d'autres avant vous... Vous étiez le Roi le plus légitime qui ait existé.

La Madame est brusquement secouée de spasmes, qui l'empêchent de continuer durant plusieurs secondes. Son estomac se broie, mais, dans le but de terminer sa tirade, elle se tempère. Des perles dévalent ses joues, sa mâchoire est crispée, elle reprend son discours qui lui tient à cœur.

TINUDA Vous avez été un bon stratège. Jamais vous n'avez délaissé la Couronne d'Ethrian. Vous n'étiez ni vaniteux, ni présomptueux, vous n'étiez aussi guère imbu de pouvoir. Celui-ci ne vous intéressait pas. Vous écoutiez les conseils, vous en exigiez même, vous preniez vos décisions avec recul et volonté de bien faire. Vous avez apporté une merveilleuse prospérité à ce royaume, grâce à votre raison... La Couronne d'Ethrian, cette nation que vous avez forgée, ne vous remerciera jamais assez.

La Madame se traîne au sol, insecte sans lumière abandonnée par son étoile, mais se stoppe immédiatement lorsqu'elle fait face à une stèle rectangulaire.

TINUDA Vous êtes ici. Vous y serez pour l'éternité. Et j'y demeurerai aussi. Je ne vous quitterai pas. Ne pensez pas que vous obtiendrez la paix en n'étant plus ! Je vous hanterai toujours, je serai toujours à vos côtés. Je ne vous libérerai jamais de mon emprise !

Ethrian V - MarriaWhere stories live. Discover now