Chapitre 19 - Nomination (2)

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La Sisä Censora Zander fut réveillée dès l'aube par un léger grattement à sa porte. Le Man qui se tenait sur le seuil portait dans ses bras une tenue d'apparat digne des plus hauts dignitaires : une robe de soie aux fils d'argent, une broche représentant un nymphéa, forgé du même métal que les perles et plumes traditionnels qui ornaient sa chevelure.

– Maîtresse, fit le Man en s'inclinant poliment par-dessus les beaux atours, les Primats vous prient d'accepter et de revêtir ces vêtements en vue de votre Nomination.

Le Primat Neser me prie, tu veux dire, reprit la Sisä.

– Eh bien... oui.

– Alors non, merci, rétorqua-t-elle en refermant sèchement la porte sur le serviteur.

Les attributs du nouveau Primat étaient une faveur non négligeable, et elle savait que Neser n'était pas étranger à son changement de statut, mais ne comptait pas lui donner la satisfaction de lui en être reconnaissante. Il ne lui aura pas fallu longtemps pour tenter de m'acheter, songea-t-elle avec un petit reniflement sarcastique. Il ne me porte pas dans son cœur, et il doit enrager de me voir nommée en tant que Primat. Dommage que je ne sois pas aussi naïve que ce regretté Laird Jashan.

La vieille femme ouvrit sa commode et choisit une robe de simple coton gris perle, qu'elle étendit sur son lit. Dans la salle d'eau attenante, un léger clapotis lui apprit qu'un serviteur (peut-être celui envoyé par Neser) lui avait apporté de quoi faire sa toilette. La Sisä se dévêtit, retirant son ample chemise de nuit, et passa dans la pièce contigüe, séparée de sa chambre par une tenture de toile rouge. Le Man s'était déjà retiré, la laissant seule pour s'occuper d'elle-même – comme elle l'avait réclamé, longtemps auparavant. Tout en se glissant dans la baignoire remplie à ras-bord d'eau bien chaude, la Sisä espéra brièvement que son nouveau statut de Primat ne l'empêcherait pas de conserver quelques-unes de ses habitudes de toujours.

Une fois lavée et séchée, elle retourna près de son lit, passa au-dessus de sa tête la robe grise, chaussa une paire de mules assorties et s'installa devant une table à abattants munie d'un miroir. Elle entreprit de se coiffer, chassant des doigts les nœuds laissés par sa nuit d'insomnie, attrapant de temps en temps de longues épingles pour fixer son chignon sévère. Son seul ornement fut un petit nymphéa qu'elle accrocha au-dessus de ses plumes et perles d'argent, symboles de son rang de Sisä Censora.

Elle devrait sacrifier son confort personnel au luxe d'appartements privés et au déploiement de faste et de décorum inhérent à sa nouvelle position ; ce fut là une pensée amère, alors qu'elle fermait sa chambre à clef et prenait la direction du Guet. Elle avait toujours refusé d'habiter Pizance et ses maisons individuelles trop spacieuses, leur préférant l'exiguïté des cellules de la Muraille. La seule richesse due à son rang et à laquelle elle s'était volontiers pliée était la salle de bains personnelle, munie d'une antique baignoire à sabots – qui tenait plus du baquet de cuivre que l'on aurait déposé sur quatre pieds en forme de pattes d'ours – dont elle était fière.

Dans les couloirs régnait une atmosphère tranquille, sereine, inhabituelle, loin du foisonnement sonore quotidien. Tous ou presque se rendaient au même endroit que la Sisä Censora ; ceux qui arriveraient trop tard devraient se contenter d'une place dans le cortège des spectateurs, le long de l'Aqueduc jusqu'à Nassadja, où elle prendrait officiellement ses fonctions de Primat. Elle reconnut à leurs têtes navrées ceux et celles qui devraient rester de garde à la Muraille, mais qui la saluèrent néanmoins avec déférence.

À Pizance, elle gagna le Quartier Liminaire, où un bourdonnement de voix annonçait une exaltation impatiente, grandissante. La Sisä Censora fut accueillie par un brouhaha réjoui, quelques acclamations joyeuses, devant le manoir du Consistoire. La foule s'écartait pour la laisser passer, créant une haie d'honneur jusqu'au parvis. Là s'alignaient, imposants, trois chars à fond plat, tirés par des chevaux harnachés aux couleurs des trois Primats en fonction – l'Étoile d'or pour le Yule Neser, l'Astrolabe de cuivre pour le Vikar Taledin, les Outils de fer pour le Kraft Khordel. Un quatrième, presque nu à côté de la magnificence des premiers, l'attendait elle. Lorsque les trois l'auraient conduite à Nassadja, elle pourrait faire prévaloir son droit de propriété sur ce char et l'orner du Nymphéa d'argent. Pour l'heure, au pied des marches du manoir, se tenait le Vikar Taledin, qu'elle eut peine à reconnaître tant sa peau d'écorce semblait étinceler au soleil, comme enduite de miel ambré. Il s'inclina respectueusement à l'approche de la Sisä Censora.

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