Chapitre 17 - Échappatoire (2)

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Il laissa à une Man le soin de nettoyer ses vêtements, quitta les vestiaires, traversa un large couloir percé des portes menant aux différents bassins. Eusebio les ignora et préféra se diriger dans la partie des thermes réservée aux salles de bain individuelles. Réprimant des frissons, la peau marquée d'une chair de poule irrépressible, ses semelles de bois claquant durement contre le sol de pierre, il se colla aux murs tiédis, attentif au léger clapotis de l'eau chaude qui chuintait doucement, sous les pierres de tuf, dans ses canalisations de terre cuite.

Le couloir qu'il cherchait n'était qu'une longue galerie percée d'une multitude d'arcades, fermées chacune par un panneau de bois coulissant, et laissées ouvertes lorsque personne n'occupait la pièce. À cette heure, une seule était refermée. L'herboriste choisit une salle à l'écart, au fond du corridor, et fit glisser la porte dans son dos.

À peine plus grande que sa cellule de Lusragan, la salle de bain était entièrement tapissée de lattes de bois, dont les teintes, allant du pur ivoire de l'orme au hâle délicat de l'acajou, créaient de plaisants motifs géométriques. Au centre, les rebords d'une large baignoire de porcelaine, aux angles arrondis, dépassaient de quelques centimètres. Sous l'éclat des lampes, l'eau claire y miroitait comme dans une flaque peu profonde. Une légère vapeur s'attardait paresseusement à la surface. Quelques ustensiles, seaux et louches patientaient dans un coin ; sur un tabouret bas étaient disposés des pains de savon odorant, des brosses, une éponge et une pierre ponce, sur une pile de serviettes en lin. Eusebio se débarrassa de celle qui ceignait sa taille et entra précautionneusement dans le bassin. L'eau presque brûlante lui arracha une grimace. L'impression de faible profondeur était trompeuse – le jeune homme s'enfonça jusqu'au cou avant que ses fesses ne viennent toucher le fond de la baignoire. Il enleva ses perles de Lusragan et le fil de crin qui lui nouait les cheveux, démêla ceux-ci sommairement de ses doigts mouillés et plongea la tête sous l'eau. Il n'y resta que quelques secondes, attrapa ensuite un savon et s'en frictionna la tête, le visage, le cou, les épaules, le torse, les bras, les mains. Le jeune homme se récura soigneusement les ongles, se rinça une première fois en versant le contenu d'un seau sur sa tête. La mousse du savon était devenue noirâtre. Eusebio chercha la bonde du bout du pied, laissa le bassin se vider en frissonnant, puis ouvrit les petites vannes de cuivre qui ornaient l'un des rebords de la baignoire – le miracle de « l'eau courante » dont seuls les thermes bénéficiaient. La première fois que Lenneth l'avait conduit ici, un jour de Shabbat, et qu'il avait découvert cet ingénieux système, il n'avait pas voulu repartir avant d'en comprendre les plus minuscules mystères. L'herboriste en était ressorti grisé, émerveillé – et aussi sale qu'il y était entré, avec un Lenneth partagé entre l'amusement et la mauvaise humeur. C'est avec ce ravissement enfantin, teinté toutefois d'une sourde pointe de nostalgie envers son ignorance d'alors, qu'Eusebio regarda la baignoire se remplir à nouveau d'eau bien chaude.

Le pain de savon acheva sa courte existence entre ses doigts, tandis qu'il nettoyait le reste de son corps. Il inspecta méticuleusement sa peau rougie, à la recherche de morpions ou de puces, frotta sa chevelure pour en chasser les éventuels poux. À l'aide de la pierre ponce, il se débarrassa des peaux mortes ; dans un petit panier, à côté du tabouret, il dénicha une paire de ciseaux très fins, dont il se servit pour se couper les ongles. Un rasoir au manche d'ivoire lui permit de tailler sa barbe.

Tout en laissant l'eau s'écouler encore une fois, emportant les dernières impuretés, Eusebio, enveloppé d'un nuage de vapeur, s'assit sur le rebord de la baignoire, réfléchissant au véritable but de sa venue ici. Pour en avoir déjà exploré les moindres recoins, à l'affût d'une découverte sur le système de canalisations, le jeune homme se doutait qu'il trouverait certainement l'issue indiquée par le plan de Zygmund Hasko au niveau de la chaufferie. Des conduites de cuivre y menaient l'eau depuis le captage de la source, sous la montagne. Elles devaient être suffisamment larges pour permettre le passage d'un homme – celles qui distribuaient le précieux liquide aux fontaines et aux réservoirs d'eau potable de Pizance étaient bien trop fines.

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