Jour IIIII / II : Ou comment tout bascule. (Crépuscule)

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Je crois avoir un peu surestimé mes capacités et je me rends compte de l'idiotie de ma petite baignade. Mes jambes sont lourdes. Gorgées d'acide lactique, mes fibres musculaires en sont réduites à l'efficacité d'un roulement à billes, sans bille. Chaque pas est un véritable calvaire, et c'est à peine si je ne sens pas de la rouille se former sur les articulations de mes genoux. J'ai beau serrer les dents pour inhiber la douleur, je prends conscience que j'atteins mes limites. Les vraies, cette fois. Je m'étonne de ne pas m'être encore effondré.

Dans mon dos, les bras solidement harnachés par-dessus mes épaules, Harmony semble s'être endormie. En effet, ça m'étonnerait qu'elle pose son menton dans le creux de mon cou de son plein gré. J'aurais pu la charrier et la secouer comme une maraca pour qu'elle se réveille et qu'elle partage ma peine, mais dans un élan de grande bonté et surtout parce que je suis trop concentré à souffrir, je la laisse profiter des bras de Morphée. Je sens ses cheveux s'emmêler dans les miens et son souffle effleurer ma peau, juste au-dessus de mon col.

La sensation n'est pas désagréable.

J'ai l'impression que ça fait des heures et des heures que nous avons laissé la cénote derrière nous. Dans mon esprit, la rencontre avec l'homme-machine a la même consistance qu'un rêve, un peu comme tout le reste de ce qui s'est passé ces deux derniers jours. Le regard droit devant moi, glissant de troncs en troncs et de fougères en fougères, j'essaye de me concentrer le plus possible pour conserver une avancée en ligne droite et ne pas commencer à tourner en rond.

Puis, comme par miracle, j'aperçois au loin de nombreuses portes lumineuses zébrer le mur de végétation plongé dans l'ombre de la canopée. Les mètres défilent les uns après les autres et mon cœur s'emballe à l'idée de retrouver le camp. Une étrange émotion me serre la gorge comme un collet. En deux minutes, mes espoirs se concrétisent et c'est les yeux humides que je sens mes pieds s'enfoncer dans le sable fin de la plage. Ce court instant de joie donne le coup de grâce à mon corps.

« On y est... » Je laisse échapper, pour moi-même.

Mes jambes plient et rompent sous mon poids et je finis à genoux sur le sol. Le choc réveille la blonde en sursaut. Encore amorphe, ce n'est que par le biais d'une onomatopée qu'elle trahit sa surprise.

Habitués aux ténèbres relatives de la jungle, mes yeux mettent un certain temps à se remettre de l'éblouissement du soleil.

« M... dieu ! ... Eux ! C'est ...ment eux ! »

Sans lever les yeux vers la voix qui hurle à la mort, je reconnais immédiatement les mots d'Arthur un peu plus loin. J'ai dû louper le camp d'une cinquantaine de mètres. J'entends que quelqu'un lui répond mais à cause de la distance, je n'arrive pas à discerner de quoi ils parlent. Je tourne finalement la tête sur ma droite pour voir le jeune homme courir à toute vitesse vers nous.

Il se baisse à mon niveau et saisit mes épaules avec fermeté

« Putain Léo... ! »

Il est paniqué, je comprends qu'une foule de questions se précipite dans sa tête sans qu'aucune ne parvienne à franchir les barrières de sa bouche. Il lève les yeux vers Harmony.

« Seigneur, Harmony, t'es là aussi ! »

Je sens les mains de mon koala intérimaire se défaire de leurs prises sur mon corps et la jeune femme se lève sur sa jambe saine. Le poids de la blonde en moins, je parviens à me relever tant bien que mal.

« J'sais pas en combien de morceaux, mais oui, je suis là. » Fait-elle.

Arthur me lâche et plonge dans les bras de la jeune femme. Des larmes coulent sur ses joues, mais je sens qu'il se contrôle pour ne pas éclater en sanglots.

Biohazard - Disparus [ Tome 1 Terminé ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant