La Légende de la Méduse

Salomé - Partie 2 : Charlie

De l'eau. De l'eau partout...
La mer. Infinie. Tourmentée.
Monstre marin mouvant.
De l'eau. De l'eau partout...
La mer. Insaisissable. Déchaînée.
Monstre marin mouvant.
De l'eau, dans mon nez. De l'eau, dans ma bouche. De l'eau, dans ma gorge.
J'étouffe !
J'avale.
L'eau me pique les papilles. Mes yeux me brûlent. Des cheveux collent sur mon visage.
Je suis trempée.
La mer. Monstre marin vivant.
Il s'approche. Il m'aperçoit. Il m'attrape.
Relâche-moi !
Un tentacule orange s'empare de moi, s'enroule autour de mon corps, m'étrangle.
Relâche-moi ! Il me serre la gorge.
Je glisse du radeau. Je tends le bras. Je tends les doigts. Je le touche presque...
- Henri ! Aide-moi ! Me laisse pas !
Je tombe dans l'eau. Je ne sais pas nager. L'eau me submerge.
- Henri...

***

- Charlie. Charlie. Réveille-toi, Charlie !

Apeurée, l'enfant se redressa dans son lit en tremblant et écarquilla les yeux. Elle haletait. Elle battit des paupières plusieurs fois pour ajuster sa vue trouble.

- A... Ana, bégaya la petite en reniflant.

- Oui, tu faisais un cauchemar. Tu criais. Tu peux te rendormir maintenant.

Sa sœur lui caressa le visage. Anaël la berçait doucement. Elle avait emmitouflé sa sœur dans une serviette et la frictionnait pour la réchauffer. Son corps était trempé. Elle lui murmurait une comptine de l'ancien temps, un chant presque oublié que sa propre mère adoptive, Marie, lui avait tellement fredonné avant de dormir qu'elle en connaissait chaque note par cœur. Enveloppée d'une douce chaleur maternelle, Charlie sembla se calmer. Son cœur ralentissait, sa respiration devint régulière. Ses tremblements cessèrent. Elle se rendormait.

Anaël s'apaisa, mais soudain, la petite se redressa en hurlant :

- Henri ! Il faut sauver Henri. Ana, Henri est vivant. Je le sais ! J'en suis sûr, il n'est pas mort, elle poursuivit plus calmement en regardant Anaël droit dans les yeux, on dirait qu'il est enfermé. Comme prisonnier...

Charlie n'était apparemment pas sortie de son mauvais rêve. Elle s'énerva.

- Ana ? Tu m'écoutes ? Je te dis que mon frère est vivant. Il faut aller le sauver !

Anaël scruta sa sœur qui se débattait dans ses bras. Elle paraissait totalement éveillée, elle croyait en ce qu'elle racontait. Le rythme de son cœur s'accéléra. Aurait-elle raison ?Après tout, elle n'avait jamais vérifié l'histoire de Charlie. Elle l'avait adoptée naturellement lorsque la petite lui avait demandé de ne pas la ramener chez ses parents biologiques.

- Je suis sûre qu'iXiar me croirait lui, pesta Charlie.

Les pupilles d'Anaël se troublèrent. L'Animal au fond d'elle frissonna.

- Il t'a entendue. Il sait que tu as raison et moi aussi. On partira à sa recherche demain. Je te le promets. Pour l'instant, tu ne peux rien faire pour l'aider. Il faut dormir ma puce, lui murmura-t-elle au creux de l'oreille.

Et Charlie battit des paupières et sombra de nouveau dans le monde des songes. Anaël, perplexe, perçut le dragon à l'intérieur d'elle qui frémissait de plus en plus. Sa sœur avait raison, Henri était vivant. Elle devait le retrouver et le lui ramener, alors ses cauchemars quotidiens cesseraient enfin. Elle recoucha Charlie et sortit de la chambre, songeuse.

***

Le jour levé, Charlie rejoignit sa sœur dans la cuisine pour le petit-déjeuner. Des fruits frais ornaient la table.

- Salut grande sœur. Miiiiiam. Suuuuuper, des fraises ! Le petit-déjeuner parfait...

- Bonjour mini-pouce. Reposée ?

- Oh oui ! En forme. Prête pour le plein d'actions et d'aventures.

La fripouille avait complètement oublié son cauchemar. Plus aucune trace du mauvais rêve. Il s'était enfoui au plus profond de son inconscient. Elle n'était même pas chiffonnée par sa nuit agitée. Chaque jour, la même scène se répétait depuis qu'Anaël l'avait recueillie. L'enfant cauchemardait la nuit et ne se souvenait de rien la journée. Deux entités différentes se disputaient son corps et l'une n'avait aucune idée de ce que vivait l'autre. Anaël, face à la fenêtre de la cuisine sourit. Les yeux plongés dans le vague, elle songea à la similitude avec sa propre existence. Une part Animale, une part Humaine. Pourtant aucune n'ignorait ce que l'autre vivait lorsqu'ils étaient séparés...

La jeune femme soupira. Elle n'en pouvait plus. Elle devait agir. La petite la ramena à la réalité :

- Ana, tu crois que je peux aller voir Sybil aujourd'hui, après la classe ?

Charlie adorait la bibliothécaire de la cité. Elle passait des heures en sa compagnie et lui empruntait de nombreux livres en tout genre. Anaël servait souvent d'intermédiaire.

- Tu sais bien que Sybil ne reçoit plus d'enfants, mais je peux y passer si tu veux un livre.

- Oh oui, merci ! s'enthousiasma Charlie, je voudrais la suite des aventures de Harry, le sorcier. Il venait d'entrer à l'école quand les séances de Rêves se sont arrêtées.

Chaque semaine, Sybil organisait des séances de contes. Les enfants se réunissaient autour de la bibliothécaire qui les emmenait voyager dans des contrées féeriques loin de leur réalité souvent triste. Un véritable envoûtement.

- Je passerai la voir en fin de journée, lui promit Anaël. Comment pourrais-je résister à ce regard pétillant ?

Anaël lui fit un clin d'œil ; Charlie lui sauta au cou. Après une courte étreinte, la jeune femme reprit :

- Allez, Charlie ! Maintenant tu finis ton petit-déjeuner et tu t'habilles en vitesse. Tu vas être en retard au Labo, j'ai une commande urgente qui m'attend à l'atelier et iXiar s'impatiente, il veut se dégourdir les ailes.

Charlie, encore dans les bras de sa sœur, souleva la tunique d'Anaël pour lui dégager l'épaule. Là, un dragon couleur terre sommeillait. Elle lui chuchota :

- Tu m'emmènes, dis ?

Anaël esquissa un sourire. Ses yeux brillèrent alors d'une lueur dorée. Deux pupilles félines apparurent. Sa voix se modifia, devenant plus rocailleuse.

- Charlie, tu ne peux échapper à ta destinée. L'envol sera pour ce soir.

La voix rauque du dragon résonna dans les veines de Charlie, sons sang frémit, des frissons lui parcoururent le corps. L'Animal avait parlé. Elle obéirait et irait donc au Labo comme prévu, mais volerait au clair de lune.