Charlie - Partie 4

68 6 3
                                    

La peur d'Anaël s'estompa légèrement à mesure qu'elle restait hypnotisée par le va-et-vient incessant de ces abeilles affairées. Chacun avait sa place dans cet immense ballet sidérant. Anaël était totalement fascinée.  

Une nouvelle explosion, plus proche celle-ci, retentit et la sortit de sa torpeur. Elle se retourna vers la grande fenêtre et vit, au loin, dans la rue, une fumée noire qui s'épaississait au dessus de vieilles carcasses rouillées de voitures usagées. Apparemment, une catastrophe venait de se produire. Anaël sursauta : une seconde explosion, au même endroit, venait de succéder à la première. Elle eut un énorme mouvement de recul et faillit perdre l'équilibre dans les escaliers. Une larme mouilla sa joue. La ville était attaquée. Les rues étaient noires d'un monde inconnu. La foule, prise de panique, courrait dans tous les sens. Quoiqu'il se fût passé, c'était énorme et horrible...

On est attaqués. Je n'y crois pas.

Elle paniqua de nouveau quand elle entendit une sorte de sirène, mais elle tenta de se rassurer : un camion rouge avançait. Il lui évoquait quelques souvenirs d'un livre sur la période pré-cataclysmique.

Des pompiers ? La société ne serait pas aussi morte que ce que tout le monde croit ?

Dans la rue, la foule se figea. Anaël avança le long de la fenêtre pour essayer d'apercevoir l'origine de ce mouvement. Rien. Elle devait changer de point de vue : parcourir le couloir du premier étage pour se rendre de l'autre côté de la clinique.

Soudain, une seconde sirène retentit. Puis, un terrible silence s'abattit sur la cité. L'absence de bruit la tétanisait encore plus que les hurlements et les scènes de panique. On aurait dit qu'ils étaient au centre de l'œil du cyclone, un moment de calme avant la tempête.

Elle essaya de se diriger jusqu'à l'autre couloir, vers le hall de la grande verrière, celui des véritables urgences, mais le couloir était bondé désormais. Sa respiration s'accéléra. Un poids se posa sur son estomac qui l'empêcha de respirer convenablement. Anaël se fraya laborieusement un passage à travers la masse hystérique. Elle bouscula les gens comme elle ne s'en était jamais sentie capable. Elle aurait préféré se faufiler, mais elle les aurait piétinés s'il l'avait fallu. Une seule pensée la dominait : trouver la menace pour retourner auprès de Charlie ! Elle avait besoin de savoir contre quoi elles allaient devoir se battre ou, plutôt, de qui elles allaient devoir se cacher. Connaître la menace permettrait d'élaborer un plan de survie, d'attaque s'il le fallait. Elle pourrait alors savoir comment protéger véritablement sa sœur, à moins qu'elle ne la rejoignît et décidât de ne plus bouger, jusqu'à la fin.

Elle progressait difficilement vers l'ancien accueil de la clinique délabrée, quand une scène lui saisit l'œil. Sur le côté droit, par une porte entrouverte, elle aperçut un homme totalement brûlé. Anaël stoppa net sa progression puis s'approcha. Elle poussa délicatement la porte. Une équipe médicale semblait essayer de sauver la vie de l'écorché. Il saignait abondamment et les infirmiers volontaires qui se trouvaient-là semblaient complètement dépassés par les événements. Une substance jaunâtre, mêlée à du sang, suintait des brûlures et s'écoulait en flux lent et continu sur le sol et les vêtements du personnel soignant improvisé. Une odeur âcre, presque chimique, emplit le nez d'Anaël. Elle lui chatouilla ses sinus. Une nausée la saisit. L'effluve était écœurant. Elle se précipita dans le couloir. Jamais elle n'aurait pu être chirurgienne et elle admirait ces hommes et ces femmes qui se battaient pour la survie des autres, les mains plongées dans des entrailles purulentes. Cette scène surréaliste lui permit de comprendre que la clinique avait réellement ressuscité.

On l'appela à l'aide. Par réflexe, elle se retourna. Ils étaient en train d'amputer le pauvre homme encore conscient. Anaël lut la mort dans ses yeux. Il l'implorait de l'aider, mais malheureusement, elle savait qu'il n'y avait plus rien à faire pour lui. Impitoyable, elle lui tourna le dos, les larmes aux yeux.

La Légende de la MéduseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant