Salomé - Partie 7 : Épilogue

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Lorsque l'astre du jour glissa hors de l'horizon, le brasier s'était éteint. Une fumée sombre disparaissait dans le ciel en volutes légères. La brise était fraîche. Les deux aventurières avaient passées une partie de la nuit muettes, accablées par la mort de Salomé. Dans la brume vernale, l'Animal s'éveilla et frissonna à l'intérieur du corps de l'Humaine. Anaël s'éveilla. Les premiers rayons du soleil atteignaient le lieu de la cérémonie. Un corps famélique gisait, là, nu, au centre du cercle, à la place de la danseuse. Sa peau, aussi laiteuse que celle de la Voyageuse, paraissait marbrée de plusieurs couleurs. Anaël n'était pas leurrée, elle se doutait qu'il ne s'agissait pas de Salomé, mais une lueur d'espoir l'envahit. Elle courut jusqu'au cercle et découvrit un corps d'homme, décharné. Les os saillaient de sa peau tendue. Il brillait de la même substance luisante que Salomé après sa danse, et les marbrures n'étaient rien d'autres que les pigments qui composaient le tableau de Géricault. L'être décharné reposait simplement endormi, la respiration difficile, mais calme. Il ne semblait pas atteint par la fraîcheur du lever du jour, les rayons du soleil le réchauffaient. Anaël s'accroupit pour dégager les longs cheveux noirs collants qui masquaient le visage de l'homme assoupi ; une substance visqueuse et noirâtre s'écoulait d'entre ses lèvres.

- Henri...

La gorge d'Anaël se serra. Sybil s'approcha précipitamment, une couverture à la main ; elle l'avait trouvée dans les affaires de la Voyageuse. Elle la déposa sur le corps frêle du frère de Charlie.

- Tu crois qu'il était prisonnier du tableau ?

Anaël sonda la bibliothécaire qui hocha la tête.

- On dirait qu'il a été torturé... soupira-t-elle.

Leur regard se croisèrent, sombres. L'une comme l'autre pressentait que Charlie ne reverrait pas son frère. Il ne survivrait pas à son retour. Il pourrait seulement trouver un véritable repos. Éternel celui-ci. Voilà ce qu'avait offert Salomé à Henri et par extension à Anaël et Charlie. Une tombe sur laquelle se recueillir et se souvenir. Désormais délivrée de ses cauchemars, la petite retrouverait un sommeil paisible.

Mais Anaël restait songeuse et submergée par une flopée de questions dont seuls Henri et Salomé avait la clef. Henri avait-il réellement été emprisonné à l'intérieur de la peinture comme elle le pensait ? Était-ce seulement possible ? Et Salomé, où se trouvait-elle ? Une vie pour une autre. Qu'avait-elle voulu dire ? La Voyageuse avait-elle donné sa vie pour ramener Henri d'un monde obscur et inaccessible ? Avait-elle pris la place d'Henri dans sa prison ? Était-elle toujours vivante dans une autre strate de la réalité ? Après tout, le Radeau de la Méduse avait rendu un des personnages qu'il avait avalé, peut-être Salomé l'avait-elle remplacé ?

Après un soubresaut, Henri cessa de respirer, laissant Anaël et Sybil sans réponse à leurs nombreuses interrogations.

Anaël demanda à Sybil de la laisser seule. La Conteuse respecta son choix. Elle retourna à ses manuscrits oubliés. Dans son antre littéraire, elle se débarrassa des derniers résidus des reproductions du tableau de Géricault pour accueillir à nouveau les enfants. La Colporteuse de rêves était de retour et les séances de contes pourraient reprendre rapidement. Elle désirait plus que tout oublier cette aventure sinistre.

L'Enfant-Double demeura longtemps auprès du corps d'Henri. Elle pleura pour lui, pour Charlie et pour Salomé. Et, en larmes, elle creusa la tombe de son frère adoptif au milieu du cercle de feu éteint. Elle recouvrit le tombeau de sept grosses pierres en souvenir de Salomé dont le corps avait disparu, probablement à jamais. Anaël s'était donné comme objectif de retrouver la peinture maudite, mais elle doutait y parvenir dans ce monde sauvage. Qui savait où se trouvait cette œuvre d'art aujourd'hui ? Elle espérait trouver des indices en examinant attentivement les documents compilés par le frère de Charlie, mais, au fond de son âme, Anaël savait qu'Henri avait emporté le secret de l'emplacement du Radeau de la Méduse avec lui.

Octobre 2016, Brocéliande.


FIN


Note de l'autrice :

Ces trois nouvelles se déroulent une petite trentaine d'années après la Grande Destruction, soit bien après le livre 1 du roman L'Enfant-Double (cf. mes oeuvres sur Wattpad).

Elles ont été écrites avant que les personnages de l'Enfant-Double ne soient complètement créés, et vous le verrez, il y a des attitudes qui ne collent pas forcément avec les personnalités actuelles. À moi de faire les liens entre les personnages de L'Enfant-Double et ceux de La Légende de la Méduse pour qu'il y ait une cohérence entre le roman et les nouvelles ou de simplement, un jour, réécrire les nouvelles pour qu'elles concordent avec le reste de mon univers. ;)

En tout cas, j'espère vraiment que vous avez apprécié la lecture de cette fiction. Je vous dis à bientôt pour de nouvelles aventures. :)

La Légende de la MéduseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant