Chapitre 4 : Le Damné

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Secouée par les ballottements incessants de la carriole, Ellinanh se réveilla en sursaut.
Depuis qu'ils avaient quitté la capitale, Ellinanh s'était endormie comme une souche, incapable de résister à l'appel du sommeil. Les fourrures tendues du sol au plafond, en passant par les banquettes moelleuses, n'avaient pas facilité son métabolisme à résister à un peu de repos.

Néanmoins, lorsqu'elle jeta un coup d'œil par la petite fenêtre sur sa gauche, elle se rendit compte que le soleil était bien haut dans le ciel.
Bâillant à s'en décrocher la mâchoire, Ellinanh se tourna vers sa comparse pour lui demander l'heure.
Elle stoppa son élan en voyant qu'Ada était affalé sur la banquette, les bras pendant sur le côté et ronflant.
Retenant un petit rire, Ellinanh écarta le rideau pourpre de devant la fenêtre pour pouvoir ouvrir la petite vitre.

Les contrées du royaume du Fäal-Erol étaient principalement plates et composées de longues plaines verdoyantes.
Au loin, Ellinanh distingua quelques moulins à vents, symboles des grandes plaines Mehells, au nord de la capitale. Près de la petite route sableuse qu'ils empruntaient, de fines plantes d'un rouge flamboyant, s'apparentant à la famille des roseaux, dansaient sous les assauts du vent. Sous les yeux de la jeune femme se déroulait un tapis pourpre aux teintes et reflets changeants en fonction des nuages et des rayons du soleil, et ce, à perte de vue. Magnifique.

"On en a fait du chemin", pensa t-elle.

À cette allure, il auraient rejoins la frontière des quatre continents en quatre jours. Glëmon étant situé au centre du pays, il était facile, en allant plus à l'ouest, d'arriver à la frontière des quatre continents, que l'on nommait aussi le bouton d'or ou le Gynécée. Les quatre continents étant agencés comme des pétales autours du Gynécée, on faisait souvent cette métaphore. C'est de cette référence florale qu'était ensuite apparue le "bouton d'or", qui était à la fois une fleur et qui représentait assez bien le sentiment qu'on éprouvait lorsqu'on s'y rendait : l'émerveillement, l'opulence, la richesse ; une sorte de pépite d'or perdue au milieu de quatre continents, en somme.
C'est à cet endroit que se tenait le plus grand marché et la plus grande zone de négociation au monde. Les flux de marchandises allaient et venaient de frontières en frontières par ce point ci.

Malheureusement, pensa Ellinanh, ce n'est pas pour acheter du tissu ou des joyaux qu'elle faisait ce voyage. Elle s'était rendue une fois au bouton d'or lorsqu'elle était plus jaune, et avait été émerveillée par les diversités de cultures et de couleurs qu'elle y avait trouvée. À vraie dire, c'était ici qu'elle avait trouvée Adalys.
Il était fréquent que des migrants viennent proposer leurs services sur le marché, et bons nombres d'entre eux trouvaient preneurs chez les riches commerçants, bourgeois, nobles ou encore seigneurs qui cherchaient l'originalité à travers l'exotisme.

Une puissante brise fraîche vint jouer avec une mèche rebelle sur son visage. Plus on s'éloignait du sud, et plus les vents allaient être froid et dangereux. Mais ça ne serait pas tellement un problème, elle pourrait les dévier.

Le nord. Le froid. La glace. La nuit. Le noir. Le feu.
Tout sonnait horreur à ses oreilles. Aversion qu'elle s'entêtait à ignorer, persuadée que c'était ainsi et qu'elle n'avait pas la possibilité d'en changer la moindre image.

Ce n'était pas vers l'ouest et ses multitudes de richesses et de magies qu'elle se dirigeait, mais vers un royaume sombre et déjà mort à ses yeux, comme l'image de son mari.

Lui, plus que tout autre, était une ombre à ses yeux. Un mort vivant.
Les histoires qu'elle avait entendu à son sujet lui avaient hérissés les poils et causés bons nombres de cauchemars.

Le Roi Rouge, comme on le nommait à l'Est, parceque lorsqu'il revenait du champs de bataille, la couleur de son armure était méconnaissable à cause des longues traînées de sang qu'avaient laissés ses ennemis.
Lær Dôrth, "l'ombre du démon", en langue orque, puisqu'à chacun de ses assauts, aucun n'avait le temps d'apercevoir son casque en pointe avant de rejoindre ses ancêtres.
Ou encore, le démon du feu, puisqu'il était connu pour incendier le champ de bataille pour ne pas attirer les Morkgs (autre espèce d'Orques des contrées lointaines) à cause de l'odeur de leurs semblables en décomposition.

Dour ha TanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant