Quatrième acte

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Sauf que YoonGi n'a pas bougé. Il a passé ses journées, silencieux, assit sur cette chaise en bois, les genoux contre sa poitrine et la tête posée dessus à contempler sans but ce spectacle. Ce grand théâtre de la vie dont il ne fait plus parti depuis bien longtemps. La fenêtre est souvent ouverte malgré l'air glacé de l'hiver. Pas grave, sa veste en jean le protège un peu des courants d'air. Il entend toujours l'agitation générale de la rue d'en dessous. Parfois des adolescents qui s'exclament, qui rient. Il arrive aussi que des couples se disputent pour un rien. Lui pense toujours qu'ils sont idiots, ne mesurant pas la chance qu'ils peuvent avoir. Ils ne font que gâcher leur bonheur si difficilement acquis. Quand des familles passent, souriantes, il détourne le regard ne supportant pas la scène et attend simplement qu'ils disparaissent au milieu de la foule. Si le bruit l'agace trop il finit par fermer la fenêtre et attrape son carnet ainsi que son stylo pour écrire quelques lignes. Parfois il change d'activité, s'assoupissant pendant quelques heures pour oublier ses sombres pensées et cette peur d'aller vers cet inconnu au doux regard et aux attentions si discrètes.

Le soleil s'est couché depuis bien longtemps tandis que lui est encore là, immobile telle une statue de pierre. La fenêtre close, les rideaux tirés et plongé dans l'obscurité, il attend. La porte s'ouvre lui provoquant un léger sursaut. Son colocataire rentre bruyamment, râlant que la lumière est encore éteinte et qu'il devrait arrêter de passer sa vie dans le noir. Il relève la tête un instant distinguant des sacs dans chacune de ses mains surement trop lourd pour lui. YoonGi hausse les épaules et lâche une simple réflexion. 

« Tu fais trop de bruit. »

Un soupir de la part de son ami. Il aurait bien envie de pester comme lui mais ça ne servirait à rien. Abandonnant ses courses, il s'approche avant de s'asseoir en face de lui, espérant obtenir au moins un regard de sa part mais le petit ne bouge pas. Il voudrait lui proposer de sortir ce soir mais l'autre lui dirait qu'il n'aime pas boire. A chaque fois c'est la même chose, les mêmes paroles rabâchées et c'est insupportable à la longue. Pourtant il aimerait le voir différemment. Il n'a jamais connu YoonGi autrement. Toujours le visage triste, le regard dans le vide avec des cernes sous les yeux traduisant des longues nuits d'insomnie et des mains tremblantes de peur. Un sourire qu'il réserve au plus méritant, un rire aussi rare que les plus grands trésors du monde et des mots mélancoliques prononcés sur un ton lasse. Ici, dans cet appartement miteux, il ne cache pas sa souffrance. Il est au plus naturel. Son colocataire s'est toujours dit que celui qui aimerait cet être serait un homme courageux, avec un léger grain de folie pour se lancer sur le chemin de la séduction.

Sa main se pose sur le genou de son ami pour essayer de le faire réagir. Il le caresse lentement, devenant aussi silencieux que lui. Son grand sourire habituel disparaît et son faux bonheur s'évapore de ses yeux laissant un air bien plus sérieux s'y installer. A présent son colocataire n'est plus le même. Ce jeune adulte qui amusant tant la galerie, qui passe son temps à prétendre que sa joie est grande et qu'il ne manque de rien dans la vie n'est plus là. Il est lui-même. Cet homme sombre qui est malheureux depuis des années maintenant enchaînant les petits jobs et les soirées à boire, à s'amuser pour oublier sa grande peine. Et, honnêtement, YoonGi le préfère bien plus comme ça. Il est bien plus rassuré auprès de cette personne calme et non son personnage de scène extraverti. Il se confie bien plus. Alors maintenant seulement son regard se pose sur lui.

« Va lui rendre, YoonGi. T'étais motivé il y a encore quelques jours.

Il ne m'attend surement plus depuis une semaine.

Alors cherche-le. Pitié, bouges-toi un peu ou tu vas mourir d'ennui sur cette maudite chaise. »

Le petit pourrait contester. Il a tant de phrases pour répondre méchamment que lui non plus ne fait pas grand-chose pour que sa vie s'arrange. Mais en réalité, son colocataire en fait déjà bien plus et il le sait. Il n'est pas en position et de toute façon ça ne sert à rien d'être blessant. C'est le seul qui ne l'abandonne pas dans cette grande vie, qui le conseille et reste avec lui. Le petit attrape son téléphone et regarde l'heure. Il a peut-être encore le temps d'aller à la rencontre de cet inconnu. Il déplie son corps et pose enfin ses pieds sur le sol pour se diriger vers l'entrée. Il enfile ses vieilles baskets en toile, une grosse écharpe grise puis entend à nouveau son prénom. Il relève la tête et attrape un porte-monnaie volant au milieu de la pièce. Il y a surement assez pour acheter un paquet de cigarettes. Autant ne pas rentrer bredouille. Avant de partir, il adresse un dernier regard à son ami.

« HoSeok. Merci. »

Dehors le froid est mordant, il glace bien rapidement le jeune homme. Ses pas s'activent mais il ne court pas pour autant. Il ne veut pas bousculer les événements. Si sans s'essouffler, il arrive à tomber sur l'inconnu c'est que c'était écrit dans cette immense pièce de théâtre. Accompagné de quelques lampadaires qui lui montrent le chemin il arrive bien rapidement à l'arrêt de bus prenant conscience que, finalement, ce n'est pas si loin que cela. L'inconnu est encore là, le dos droit et un long manteau noir qui lui tient chaud. Et maintenant ? Son colocataire ne lui a pas donné de conseils. Il a l'air bien idiot, les bras ballant le long du corps sans savoir quoi faire en l'observant dans un terrible silence. Il se paralyse rejetant la faute sur le froid, n'acceptant pas sa peur d'approcher une telle source de douceur. Au fond de lui, YoonGi a envie de chaleur et a l'espoir que cet homme pourrait lui en apporter un peu. Depuis des années plus personne ne lui a offert de douces émotions, ce désir de vivre à nouveau. Il aimerait trouver ce quelqu'un qui pourrait le faire.

Un pas. Puis deux. Enfin trois. Il attend. Le petit pense qu'il va le remarquer au bout d'un moment mais c'est faux. Il est discret, silencieux et sait se déplacer sans fendre l'air, ni créer un seul bruit. C'est donc encore à lui de faire un pas ? Un quatrième. Ses fines mains viennent se poser sur le bras du jeune homme bien plus grand. Nam Joon qui, jusqu'à présent, fixait la rue d'en face se retourne et ses yeux s'écarquillent. Il se noyait dans ses multiples pensées, pour la plupart dirigées vers le petit être. Et le voilà ses côtés. L'étudiant aimerait exprimer sa joie, lui adresser quelques mots en lui demandant où avait-il pu disparaître mais bien vite YoonGi retire sa veste et lui donne. En dessous il n'a qu'un t-shirt un peu trop large. La lumière agressive du lampadaire dévoile ses fins bras aussi pâles que son visage. Nam Joon ôte son long manteau et lui tend. Sans comprendre il lui tient un instant mais l'autre met la fine veste et refuse de reprendre son manteau.

« Mets-le. Tu vas prendre froid sinon. »

Comme hypnotisé par sa voix, il obéit avant de repenser aux paroles d'HoSeok. A cette heure, ils ne peuvent plus faire grand-chose au milieu de la capitale hormis boire un verre dans un bar. Il joue nerveusement avec ses doigts, passant sa langue sur ses lèvres, un peu stressé. Il aimerait que cet inconnu lui propose, ça lui éviterait bien des peines mais au contraire. Nam Joon attend sagement ses mots. Après quelques secondes bien trop longues à leur goût, le petit finit par lui demander.

« Tu fais quelque chose ?

J'attends que tu me proposes de sortir. »

Cette voix est bien plus grave que la sienne mais elle tendre avec une pointe d'assurance. C'est terrible. C'est pire que ce qu'il pensait. Il n'y a pas que son regard qui est dévastateur, ses paroles également. Chaque mot prononcé ressemble à un ordre doux. Peut-être que c'est pour ça qu'il a accepté les friandises la dernière fois. Cet homme est bien trop intrigant aux yeux de YoonGi. Il est méfiant également, le trouvant bien trop gentil mais en même temps il ne peut pas refuser. C'est bien trop dur cette fois. Alors, dans ce manteau bien trop grand pour son corps accompagné d'un parfum légèrement poivré, il commence à s'avancer dans les rues de Séoul à la recherche d'un endroit pour apprendre à le connaître. Nam Joon lui adresse un sourire rassurant et le suit silencieux. Il a compris que l'autre n'aimait pas le bruit inutile et les paroles en l'air. Il se rattrapera ce soir autour d'un verre. 

𝑬𝒄𝒍𝒊𝒑𝒔𝒆. 𝑵𝒂𝒎𝒈𝒊Onde histórias criam vida. Descubra agora