Deuxième acte

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Un simple signe de la main puis Nam Joon s'éloigne encore du groupe d'étudiants. Aujourd'hui il a hâte d'aller à l'arrêt de bus pour pouvoir rejouer la scène ratée de la dernière fois. Il a remarqué que pendant les beaux jours l'inconnu ne pointe pas le bout de son nez. Il disparaît simplement, sans un mot. Il s'est même imaginé que cette personne si différent pouvait être un esprit de la pluie ou même un fantôme qui n'apparaît qu'à certaines périodes. Son imagination s'est drôlement activé, en effet, et si la pièce dont il doit être l'acteur peut être pimenté d'une touche de fantastique il ne refuse pas. Il a pensé aux accessoires également. D'une main il tient son parapluie pour être protéger des froides gouttes d'eau et dans l'autre un sac en plastique. Dedans des boîtes de nouilles instantanées, des barres chocolatées, quelques bonbons doux et sucrés pour apporter un peu de douceur à ce petit homme ainsi qu'une bouteille d'eau. Sous son bras il a aussi une vieille veste en jean trop grande. Il ne la met plus et voudrait lui offrir. Ce n'est pas pour se donner une bonne conscience, ni de la pitié. L'étudiant souhaite réellement l'aider et lui apporter quelque chose pour qu'il se sente moins triste. Voir les autres se faire dévorer par ce monstre qui rode parfois sur l'immense scène l'insupporte. Il voudrait juste sauver une personne. Il aura joué son unique rôle puis deviendra à nouveau un simple spectateur considérant avec amour et intérêt la vie malgré ses faces sombres. Son pas se presse. Il voudrait être en avance pour commencer la représentation et ne pas subir la contrainte du temps.

Nam Joon aperçoit des cheveux bleus. Encore une fois, l'inconnu est sous la pluie et ne compte pas bouger. Ses vieilles converses rouges semblent encore être le plus beau spectacle qui existe. Définitivement il cherche à se punir. Il n'attend rien et ne veut pas profiter des jours de soleil, de la douceur du vent pour respirer un peu mieux. Rien de tout ça. Il ne veut fréquenter que l'humidité qui glace ses os et le ciel aussi grisâtre que ses pensées. L'étudiant s'active, ses belles chaussures en cuir rencontrant les flaques provoquant un nouveau bruit au milieu du brouhaha constant de la capitale. Le petit être ne bronche même pas. Il ne l'a surement pas entendu et ne veut peut-être pas. Le plus grand s'approche avec prudence. Une fois proche de lui et sans prévenir il dépose sa grande veste sur les cheveux trempés de l'autre et attend sa réaction. Il aimerait bien un regard, même rempli d'incompréhension. N'importe mais quelque chose. Un signe. Les secondes qui passent paraissent être des interminables minutes, intenses. Soudain, d'un geste sec, l'inconnu tire sur le tissu et le jette à Nam Joon. Surprit, il rattrape maladroitement la veste pour qu'elle ne tombe pas dans l'eau sale. Il n'en veut pas et sa seule manifestation est hostile. Le début de la représentation commence mal aujourd'hui. Lui qui aurait voulu de belles lignes pour écrire cet instant, le voilà avec un moment cru et sans délicatesse. Pour lui qui a toujours vécu dans un monde bourgeois et rassurant bien que terriblement vide parfois assister à une telle scène est fort. Si seulement il savait. Il n'a même jamais effleuré du bout des doigts la violence pure comme ce pauvre être encore sous la pluie.

« S'il te plaît, accepte. »

L'étudiant n'aime pas le sentir aussi méchant. Peut-être que c'est à cause de la peur ou un problème de fierté. Il ne comprend pas pourquoi il ne veut rien venant dans sa part, lui qui est si gentil et attentionné. Depuis petit il est comme cela et personne ne pourra le changer. Il aime venir en aide et soutenir les autres, les écoutant pendant des heures s'il le faut avant d'ouvrir ses bras pour les réconforter. Que la personne lui soit proche ou non. Il ne serait pas à ses côtés sinon. Il l'aurait simplement ignoré comme les autres, le bousculant même. Mais lui jamais il n'aurait l'idée. Nam Joon aurait tellement peur de lui briser l'épaule en l'effleurant à peine. C'est ridicule de juger uniquement par l'apparence. Après tout, cet être vient de lui prouver qu'il pouvait faire preuve de méchanceté avec un visage froid cachant comme il peut une tristesse folle qui le dévore.

Sans perdre espoir, il lui tend maintenant le sac de nourriture et attend. Il a l'impression d'attirer un animal en détresse en lui prouvant qu'il ne veut rien faire de mauvais. L'inconnu ne bouge pas. D'un œil méfiant il fixe le sachet blanc. Le temps semble encore s'écouler lentement, se stoppant presque dans sa course folle. Hormis l'étudiant personne ne retient son souffle. Aucun passant ne prend le temps d'observer cet acte. Peu de gens veulent être des spectateurs et favorisent le rôle d'acteur. Il pense que cela est dommage. Que les autres ratent des moments rares, précieux. Et finalement, un pas puis deux. Trois. Quatre. Il lui arrache presque le sac de la main avant d'analyser son contenu. Un sourire se dessine sur le visage de l'étudiant. Peu importe sa manière d'être. Il a bien voulu le prendre et c'est tout ce qu'il lui importe. Il en profite pour à nouveau déposer sa veste sur sa tête. Leurs regards se croisent sans vraiment qu'ils ne le souhaitent. Le petit découvre ses beaux yeux et une terrible douceur. Il a l'impression de s'y noyer, d'en perdre son souffle et que toute sa tristesse disparaît pendant une fraction de seconde. Mais il ne veut pas, il en a tellement peur. Son regard se détourne brusquement tandis qu'il commence à lever son pied. Il donne un coup dans le genou de Nam Joon suivi d'un coup de poing sur le torse et s'enfuit.

C'est donc ainsi que la représentation se termine. Son sourire se perd, remplacé par une grimace. Il a un peu de force, il doit bien l'admettre et il sent la douleur. La pièce d'aujourd'hui n'était pas très agréable et peut-être même qu'il ne reverra pas cet étrange être avant un long moment mais il a pu l'aider et ça lui réchauffe un peu le coeur. C'est étrange, surement. Il a pu croiser son regard et l'emprisonner avec lui dans sa tendresse. Ce simple acte lui a paru intime, presque. Un instant que personne d'autre n'a pu obtenir. Rien que pour cela il se sent fier. Chacune de ses rencontres avec l'inconnu est finalement concluante à sa manière. 

Le bus arrive et pour la première fois depuis bien longtemps, il y rentre sans regret. Ses yeux cherchent encore l'autre mais il a disparu depuis. Tant pis. Il l'a assez admiré comme cela pour aujourd'hui. A présent devrait-il se concentrer un peu plus sur le paysage pendant son chemin. Nam Joon était bien plus intéressé par ses chaussures que par le reste du monde les jours précédents. Il imagine l'inconnu courir sous la pluie jusque chez lui puis savourer les quelques confiseries qu'il lui a offerte avant de faire sécher la veste. Il aimerait bien le revoir avec, ça lui irait à merveille.

En réalité, Nam Joon a quasiment tout bon sauf si un point. En ouvrant la porte de son appartement, le petit a posé dans un coin la nourriture et ne compte pas y toucher. Concernant la veste si seulement l'étudiant savait. Malgré qu'elle soit trempée, il la serre dans ses bras cherchant un peu de son parfum. Maintenant qu'il est loin de lui, il peut s'autoriser un peu de douceur et il préfère amplement l'odeur enivrante aux bonbons trop sucrés à son goût. Et il va s'assoupir ainsi dans son canapé miteux luttant contre le récent souvenir de ce regard si dévastateur et ce visage qui lui est encore impossible à détailler à cause de son manque d'attention. Il regrette presque maintenant. 

𝑬𝒄𝒍𝒊𝒑𝒔𝒆. 𝑵𝒂𝒎𝒈𝒊Hikayelerin yaşadığı yer. Şimdi keşfedin