Premier acte

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Un simple signe de la main puis Nam Joon s'éloigne du groupe d'étudiants. Eux prennent le bus devant l'université tandis que lui marche un peu plus de dix minutes avant d'arriver à son arrêt favori. Sur le long du chemin qui mène jusqu'à ce petit havre de tranquillité, il y a un grand parc rempli de verdure. Des grands arbres pour s'abriter, des bancs pour discuter tranquillement, une aire de jeu pour que les enfants dépensent leur énergie et même quelques stands de nourriture pour les gourmands. Les cris joyeux des enfants se mêlent aux voix qui conversent, s'échangeant parfois des banalités ou des secrets. Heureusement tout est couvert par les petits qui sont bien plus bruyants. Ainsi, les mots prononcés ne peuvent pas s'échapper de cet endroit. C'est un grand spectacle que l'étudiant aime mais pas autant que celui du trottoir d'en face. Avant c'était différent. Il aimait beaucoup y aller pour admirer le magnifique carrousel qui resplendissait dans l'obscurité mais il a été démonter. Il n'a jamais trop su pourquoi mais depuis il ignore simplement cet endroit. De toute façon le plus intéressant se passe de l'autre côté.

Soudainement, quelques gouttes de pluie tombent du ciel. Encore. Il soupire et décide d'ouvrir son parapluie avant de presser le pas. Depuis plusieurs jours, les nuages emprisonnent Séoul et ne veulent pas libérer la ville. Alors il pleut. Régulièrement. Et Nam Joon commence à ne plus supporter ceci parce que, à chaque fois, les représentations sont annulées. Il ne peut pas admirer le spectacle de la vie à cause du mauvais temps ou quand elle peut être donnée, c'est toujours la même chose. Des gens qui s'activent pour ne pas être mouillés puis plus personne. Pas même un petit animal égaré qui cherche son chemin. C'est triste. Il voit enfin l'abribus et à sa grande surprise un petit homme est là. Il le reconnaît bien vite avec ses cheveux bleus électrique. C'est celui de la dernière fois. Il se laisse encore frapper par les gouttes qui deviennent de plus en plus fortes et violentes. Il ne bouge pas. Il n'a toujours pas de veste chaude mais simplement celle en jean, troué à certains endroits et usés aux coudes. L'étudiant ne comprend pas pourquoi il s'inflige une telle punition. Le pauvre doit avoir froid. Peut-être qu'il n'a plus d'endroit où aller ou qu'il attend quelqu'un qui ne vient jamais ou que très tard, après que le bus soit passé. Ce n'est pourtant pas une raison pour rester sous les nuages. Il est intrigué par cet être. La dernière fois, il n'était pas venu vers lui. Il n'avait pas compris que la représentation du jour se passait de son côté de trottoir mais maintenant c'est différent.

Personne ne les regarde. Ils sont si seuls et en même temps si proches. Ils sont l'un à côté de l'autre mais loin, perdus dans leurs pensées. Lui, étudiant la philosophie dans un monde aisé tandis que l'inconnu semble sans réel emploi et subissant sa lourde situation. Il s'incline légèrement pour espérer voir son visage. Une peau si pâle et sans imperfection. Des traits fins et discrets. Enfin des lèvres fines mais blessées à cause des quelques gerçures ouvertes qui ne demandent qu'un doux traitement.  Il ressemble à un poupin mais à la différence que lui à des cernes sous les yeux traduisant une fatigue terrible de cette vie qui doit l'écraser. Peut-être que ses petites épaules sont trop fragiles pour supporter une telle pression. Tout cela n'est que supposition mais Nam Joon sait à quel point la vie peut aller trop vite et emporte les plus faibles dans un tourbillon violent qui les dévore sans pitié. Et cet inconnu semble être l'un d'eux. Un de ces acteurs brisé. Peut-être qu'un acte s'est mal déroulé, qu'une didascalie a été trop violente pour lui. Qui sait. Personne hormis lui. Alors il reste là, sans rien faire et son visage qui, à l'origine doit être le plus beau de tous, en subit les conséquences se recouvrant de douleur. Le reste de son corps également. Il semble si maigre, perdu dans des vêtements trop grands. Serait-il malade ? C'est une solution également. Peut-être qu'il ne manque pas correctement à cause de la peur. Il y a tant de raisons pour lesquels ce petit peut être mal mais Nam Joon ne serait pas trouver la bonne sans un peu plus d'indice. Malheureusement le petit ne lui en donne aucun.

La dernière fois il pleurait. Aujourd'hui ses yeux sont brillants. Il sait qu'il est observé alors il se retient surement pour ne pas perdre la face. C'est vrai, combien de fois l'étudiant a entendu cette lourde phrase. Cette interdiction même de pleurer sous prétexte qu'un homme ne peut montrer ses sentiments et doit rester fort. Pour lui cela semble absurde, idiot. Nam Joon aurait préféré le voir se soulager, être lui-même et non porter un masque. Il a toujours pensé qu'un garçon qui pleure sans retenue, quand il le souhaite est bien plus touchant. Peut-être que cet inconnu le fait mais uniquement devant les gens qui lui sont proches. Pourtant, et sans savoir vraiment pourquoi, l'étudiant aurait bien voulu faire partie d'eux pendant quelques minutes. Peut-être devrait-il arrêter de le fixer d'une manière si impoli pour engager une conversation et lui soutirer quelques informations. Il pourrait enfin obtenir une réponse à son interrogation majeure et même l'aider par la suite. Convaincu par ses bons sentiments et gonflé par l'espoir d'approcher un être remplit de douceur malgré la tristesse qui le dévore, il décide enfin de prononcer quelques mots trouvés au préalable pour ne pas être maladroit mais sûr de lui.

« Tu ne veux pas t'abriter ? Tu vas attraper froid. »

L'inconnu relève soudainement la tête en entendant sa voix et lui adresse un long regard. C'est bien la première fois que quelqu'un ne l'ignore pas. Il devrait lui répondre mais ses lèvres restent liées. Il reste silencieux. Il a peur de parler parce qu'il sait très bien que s'il commence à bégayer quelques mots tout cela se transformera bien vite en hurlement de douleur, de détresse pour que quelqu'un vienne le sauver de cette tragédie qu'est pour lui la vie. Alors il préfère jouer le comédien muet. Il recule de quelques pas tandis que Nam Joon s'avance tendant son bras pour attraper sa manche mais trop tard. L'autre commence à courir et s'enfuit.

« Attends ! »

Mais sa parole est inutile. Il est déjà bien loin et voilà le bus qui arrive soudainement. Il monte dedans mais ses yeux ne quittent pas le petit homme qui continue sa course. Il a pitié de lui. Pas même une veste chaude sur le dos pour le protéger de cette pluie battante qui frappe ses pauvres épaules. Il peut encore l'apercevoir au loin avec ses beaux cheveux bleus qui font de lui un être si différent des autres. Cette couleur le rend un peu plus unique encore. Il aurait peut-être dû lui courir après mais ce n'est pas dans ses habitudes. Maintenant il regrette. Comme la première fois, il a un remords et dans son esprit l'étudiant se fait la morale. Il se dit idiot et soupire longuement fixant ses baskets comme à chaque rencontre avec cet inconnu. Malgré tout, dans ce fléau de pensées et de sentiments, Nam Joon est satisfait. Il a réussi à débuter sa propre représentation et voudrait la continuer. C'est important pour lui. Depuis des années il ne fait qu'être le spectateur mais maintenant il veut changer la donne, il en a même besoin pour se sentir utile. Il espère alors que le mauvais temps, qu'il déteste pourtant, va continuer dans les jours à venir pour le revoir.

𝑬𝒄𝒍𝒊𝒑𝒔𝒆. 𝑵𝒂𝒎𝒈𝒊Where stories live. Discover now