Chapitre 4

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Il est encore tôt, le soleil commence à peine à filtrer à travers mes volets. Mon portable indique 6 heures, mais je suis bien réveillé, je ne rêve pas. Je décèle son appel, et tout mon corps se raidit. Elle se rapproche, je l'entends dans l'escalier. Je sens sa présence et la légèreté de ses pas qu'elle pose désormais sur le plancher du palier, je perçois même un craquement à chacun de ses mouvements. Pourtant, j'ai conscience qu'en réalité elle ne peut pas être là, du moins, pas physiquement. Elle me manque tant. J'ai tellement mal à l'intérieur de moi, la savoir ici, si près, m'émeut et me rend faible. Au son de sa voix, la terreur m'envahit, j'ai la chair de poule et la gorge serrée.

— Paul ?

Je connais un moyen pour l'obliger à partir, mais à l'angoisse qui me torture, se mêle cet appel affectueux que je regrette tant et qui chantonne mon nom dans le couloir. Pris d'une crise de panique quand elle s'attaque à la poignée en porcelaine de ma chambre, je me résous finalement à la faire décamper.

— Va-t'en !

— Paul ?

— Tout va bien, laisse-nous maintenant !

Je tente de la rassurer pour être enfin tranquille, qu'elle ne revienne plus, puis je tends mon bras vers l'interrupteur de ma lampe de chevet. Je sais précisément comment l'effrayer : quand la lumière s'allume, elle disparaît.

Bordel, treize mois que de manière irrégulière, elle tourmente mes nuits. Elle reste là, auprès de nous, telle une âme errante qui crie au secours. J'imagine qu'elle regrette de nous avoir quittés comme elle l'a fait. Elle s'en veut et c'est pour ça qu'elle vagabonde dans la maison. Mais c'est trop tard ! Notre vie a changé et tout part en couille. Je suis triste, accablé et toute la famille est perdue sans elle...

Treize mois, comme indiqués sur la carte qu'inconsciemment j'affiche et fais défiler sur l'écran de mon téléphone. Treize mois que Max l'a trouvée, la tête explosée au fond du jardin. Treize mois que chacun de nous, à sa façon, la pleure...

Je me lève courbaturé et cherche rapidement dans l'étagère de ma grande armoire des affaires propres. Ça ne court pas les rues ces derniers temps et je suis obligé de planquer toutes mes fringues préférées, vu que Tom me les pique constamment. Je finis par trouver un polo blanc potable et un boxer. Je ne prends pas la peine d'ouvrir mes volets pour foncer à la douche avant Max. Je ne veux pas qu'il me vole la place, car il est capable de s'y confiner jusqu'à l'heure fatidique du départ pour le lycée. Il exagère toujours sur le parfum et le gel dans ses cheveux. Je dois avouer qu'entre Tom qui passe moins de dix minutes par jour dans la salle de bains et Max qui s'y enferme presque deux heures, cela crée un équilibre familial...

Je m'arrête devant le miroir pour observer mon visage après cette quasi-nuit blanche et constater que ma belle gueule est déformée. J'ai des cernes sous les yeux, cela me noircit le regard et me vieillit. Sans aucun doute, je fais plus que mes dix-sept ans, ce qui n'est pas plus mal. Je gratte mon menton carré et fais crisser mes ongles sur ma barbe, aujourd'hui encore, j'ai la flemme de la raser. En passant ma main dans mes cheveux bruns et lisses, un peu longs, je me dis qu'il faut absolument que je prenne rendez-vous chez le coiffeur ce week-end sans faute. Je rabats l'épaisseur sur le côté pour dégager mon grand front en attrapant le dentifrice. En me lavant activement les dents, je vérifie mon corps nu et sculpté. Je contracte mes abdominaux devant la glace lorsque j'entends Max tambouriner derrière la porte.

— ­­T'as fini ?

Je crache dans le lavabo et émets une grimace en pinçant mes lèvres charnues pour filer dans la douche à toute vitesse.

Deux minutes plus tard, je libère la place pour foncer vers la chambre de Tom. Il n'a toujours pas donné signe de vie, alors que le bus sera là d'ici un quart d'heure. ­

— Tom, bouge-toi ! hurlé-je en cognant à la porte fermée.

— C'est bon !

Je traverse le palier et repasse par ma chambre récupérer mon sac de cours. Comme d'habitude, je ne prends pas la peine de faire le lit ni de ramasser le linge sale, je laisse tout en bazar pour descendre à la cuisine.

La vaisselle entassée dans l'évier me coupe l'appétit. Après avoir poussé les affaires qui n'ont pas été débarrassées de la veille, je me contente d'un café serré que je bois tranquillement sur un petit coin de la grande table en bois. Un rayon de soleil illumine la pièce, mais il y a tant de désordre que cela m'afflige. Une odeur nauséabonde m'attaque les narines et je comprends rapidement d'où cela provient en me tournant vers les poubelles qui n'ont pas été sorties depuis plusieurs jours. Comme l'évier, le lave-vaisselle est plein, mais personne n'a pris la peine de le lancer. Les portes des placards sont toutes ouvertes. Depuis que ma mère s'est fait sauter la cervelle, plus rien ne tourne rond dans cette baraque. Une fois de plus, je préfère fermer les yeux sur ce foutoir et chasser cette idée maussade en consultant mon iPhone. Je ne me suis pas suffisamment essuyé les cheveux et ils dégoulinent sur mon écran, quand je reçois à nouveau un SMS de l'inconnu.

Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?

Il s'agit cette fois-ci de la photo d'une feuille de classeur avec un texte écrit à la main en lettres majuscules.

Je pense très rapidement à une mauvaise blague de Benjamin

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Je pense très rapidement à une mauvaise blague de Benjamin. Mais quel crétin, celui-là ! Il imagine sérieusement que je vais croire à une connerie pareille. Je range mon téléphone dans ma poche pour rejoindre mes frères déjà dans l'entrée. Nous traversons la rue ensemble, le ramassage scolaire est sur le trottoir d'en face.

La commune où nous vivons est plutôt tranquille et complètement paumée dans la campagne profonde. L'unique grande distraction qu'elle nous offre est son modeste port de pêche où il n'y a plus un seul professionnel en activité, et sa proximité avec l'océan.

Nous sommes tout de même une bonne quinzaine de collégiens et lycéens à prendre le bus chaque matin, tous plus endormis les uns que les autres, excepté Tom, la pile électrique qui nous saoule dès le réveil.

Je rejoins Benji, une casquette rouge sur la tête, qui m'attend appuyé contre la grille de la place publique. Il est en train de se marrer en consultant son téléphone. Je repense aussitôt à sa réflexion d'hier sur le sacrifice humain, et cela me conforte dans l'idée qu'il est bien l'auteur de ces messages merdiques que j'ai reçus. Voyant cette espèce de geek prendre son pied devant sa blague chiatique, je décide de l'ignorer totalement pour me rapprocher de Fleur qui est à l'écart du groupe, assise en tailleur à même le trottoir. Elle rêve en regardant le ciel, ses cheveux blonds lui tombent dans le dos. Son visage de petite fille modèle contraste avec son sweat à capuche noir et ample dont elle retourne les manches pour ne pas être gênée. Les fils blancs de ses oreillettes pendent dans son cou et je reconnais rapidement ma musique du moment.

— Tu écoutes Lordi ?

— Hein ?

— C'est Lordi ? insisté-je en la tirant de ses songes.

Elle ne me répond pas et reste sans voix, à me fixer tel un extra-terrestre penché au-dessus d'elle. Je lui souris bêtement, surpris qu'une fille comme elle, douce et gentille puisse apprécier une mélodie aussi déjantée et agressive.

Happy Halloween ! (Terminé)Where stories live. Discover now