Chapitre 1

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Poursuivi par Apollon et Maxence, les piliers de l'équipe adverse, je serre précieusement le ballon de rugby contre moi. À moins de deux mètres derrière, les attaquants dans leurs joggings souillés par la terre m'escortent au cours de mon échappée. J'ai toujours couru vite, cependant je suis désormais ralenti par ma croissance trop rapide. Mes jambes sont certes plus grandes, mais beaucoup moins agiles depuis que je dépasse le mètre quatre-vingt-cinq. Je ne vais pas m'en plaindre, je dois admettre qu'il est plus facile de séduire les filles quand on a mon gabarit.

Avec le défi lancé par Benjamin, ma réputation en tant que talonneur de l'équipe est en jeu ce matin, tout le lycée me regarde depuis les tribunes. Cela fait bien marrer mon pote, ce gringalet assis à l'abri au milieu des remplaçants, avec qui j'ai parié que je marquerai quand même un essai. La provocation est de taille, puisque si je gagne, il m'emmène ce week-end surfer avec lui à Biarritz. En revanche, si je perds, c'est beaucoup moins fun : je devrai embrasser le CPE.

Je sens mes deux adversaires s'approcher petit à petit alors que je m'essouffle. Le terrain est glissant et aqueux, l'odeur de l'herbe se mêle à celle de terre mouillée. Il bruine depuis une dizaine de minutes, mais cela suffit pour me tremper. Mes cheveux, un peu trop longs et humides, dégoulinent sur mon visage tandis que mon T-shirt taché se colle à mon torse, cette sensation est très désagréable. Je ne suis plus très loin de la ligne d'en-but, à peine quelques mètres, et j'ai en travers des poumons les cigarettes de ce matin qui m'empêchent de reprendre ma respiration correctement. Entre l'effort physique et la pression que je me mets au sujet de ma réputation au sein de l'équipe, je suis en nage, pourtant je reste concentré. Je plisse les yeux pour éviter que les minuscules particules de pluie ne m'aveuglent. En véritable compétiteur, j'aime ressentir la menace de mes adversaires qui me rattrapent progressivement, mais avant tout, j'adore gagner et il n'est pas question que je fasse le minimum pour y arriver. J'allonge mes foulées, fixant la ligne blanche qui approche enfin lorsque le martèlement des crampons de mes assaillants laisse place au silence. En jetant un coup d'œil par-dessus mon épaule, je découvre les deux baraqués, aux joues rougies par l'effort, qui se propulsent dans les airs. Je mords mon protège-dents en prédiction du puissant plaquage qu'ils vont m'infliger et cherche une feinte quelconque pour l'éviter.

Trop tard ! Quatre bras musclés s'agrippent soudain à mes jambes, leurs doigts glissent le long de ma peau mouillée, cependant cela ne suffit pas pour les semer. Ils s'accrochent fermement et me déstabilisent pour me projeter la tête la première dans la boue. Toujours cramponné au ballon ovale que je refuse de lâcher, je m'étale de tout mon long sur la pelouse du stade détrempé.

Des cris d'encouragements se font entendre depuis les gradins tandis qu'à plat ventre, je me débats contre les deux molosses qui finissent par m'arracher rapidement la balle des mains. Je m'essuie le visage d'un revers de manche et lève les yeux pour admirer devant moi le tracé immaculé qui me nargue. Merde, j'y étais presque ! Je rage en écrasant violemment mon poing dans le gazon. Sous les applaudissements du public déchaîné, mes deux concurrents décampent et m'envoient à la figure des éclaboussures de boue qui se décollent de leurs crampons. L'amertume m'envahit et je bous intérieurement quand Benjamin quitte le banc de touche pour s'avancer vers moi.

— Perdu, Paul ! T'es bon pour kisser le CPE ! T'as vingt-quatre heures pour passer à l'acte ! se moque Benji en checkant les deux piliers qui m'ont massacré...

Recouvert de glaise de la tête aux pieds, je râle en me relevant et crache, exaspéré, un mollard gluant en direction de mes ennemis qui m'ont tourné le dos.

— Enfoirés !

Je ne peux m'empêcher de les provoquer avant de me diriger d'un pas décidé vers le vestiaire.

Happy Halloween ! (Terminé)Where stories live. Discover now