•Chapitre 47• «Free yourself...»

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Je n'avais pas réussi à me rendormir après mon cauchemar, on ne peut plus réaliste. J'étais restée allongée sur mon lit, tête face au plafond, pensive. À chaque fois que je fermais les yeux, je revoyais cette image qui me hantait : moi penchée sur son corps. Je frissonnai. J'étais fatiguée et mes yeux se fermaient tous seuls, mais je devais résister. Je ne voulais pas revivre cela encore une fois. C'était au-delà de mes forces.

La lumière du jour qui peinait à percer mes volets clôts fut donc accueillie avec une certaine joie (tout est relatif, je ne bondis pas de joie, non plus) de ma part et je me levai pour prendre une douche, douche qui me servit de réveil matinal. Une journée de plus pouvait commencer !

***

Quand quelqu'un toqua à la porte d'entrée pour la énième fois cette journée-là, je gémis et me cachai sous ma couverture. S'il vous plaît, pas encore un médecin ! Ils ne pouvaient rien pour moi ! Je priai pour que ma tante n'aille pas ouvrir la porte, mais ce fut raté.

Cependant, ce n'était pas la voix d'un médecin, ni même d'une quelconque aide psychiatrique inutile. J'entendis la voix fluette et franche de ma meilleure amie, retentir dans le salon. Je ne comprenais pas ce qu'elle disait, mais rien que d'entendre sa voix me donnait une once de réconfort. Je ne bougeai pas de mon lit pour autant.

Des pas se firent entendre dans la cage de l'escalier et, quelques instants plus tard, quelqu'un toqua à la porte de ma chambre, timidement.

«-Zéli ? C'est Elsa, ouvre-moi s'il te plaît.»

Sa voix tremblait d'inquiétude et d'incompréhension. Je me rendis alors compte que je devais avoir quelques centaines appels manqués d'elle, sans compter les messages, deux fois plus nombreux.

Je me levai, encore emmitouflée dans mon pyjama et me dirigeai vers la porte. Juste avant que me cerveau ordonne à ma main de déverrouiller ma porte (via un message nerveux moteur, bon ok, j'arrête mon cours de SVT), je me stoppai nette. Je ne voulais pas qu'Elsa me voit comme cela.

«-Va-t'en Elsa.»

Ma voix se voulait forte et emplie de menace, mais elle en ressortit faible et tremblotante.

Même si elle était derrière la porte, je pouvais imaginer le visage d'Elsa se décomposer. Elle posa une main contre ma porte et refusa de renoncer, comme à son habitude.

Elsa n'était un de ces filles qui renonçaient si facilement à leurs rêves. Quand elle avait une idée en tête, gare à ceux qui se placeraient au milieu de son chemin ! Elle n'abandonnerait pas, quoi qu'il arrive. Elle admettait les défaites, mais pas la fin de sa quête. Plusieurs fois, j'avais entendu Elsa évoquer cette devise "On a perdu une bataille, pas la guerre.", phrase culte de notre histoire. Elle n'abandonnait pas aussi facilement que moi.

«-S'il te plaît Zéli. Laisse-moi entrer...»

Sa voix s'était emplie de larmes et était suppliante. À l'entendre, je m'assis sur le sol, reprenant mes pleurs que j'avais réussi à contrôler depuis quelques heures.

J'entendis le corps d'Elsa glisser contre la porte. Elle pleurait aussi. La savoir si triste me rendit davantage désespérée et je m'écriai, vivement :

«-S'il te plaît Elsa, va-t'en !»

Mais, Elsa ne bougea pas. Je savais qu'elle pouvait être aussi têtue que moi et qu'elle ne renoncerait pas avant d'avoir obtenu ce qu'elle voulait, et ici, elle désirait des explications, des explications que je refusais de donner depuis hier.

«-Zélina, que s'est-il passé avec Lylian hier ?»

Rien qu'à entendre son prénom, je me mis à frissonner horriblement sans pouvoir contrôler mon corps. Je fermai les yeux et serrai le plus fort possible mes paupières l'une contre l'autre afin de ne pas voir son visage, de ne pas le voir.

Peine perdue. Le visage de Lylian était inscrit dans mon esprit, ancré profondément. Le pire était ce sentiment de culpabilité que je ressentais, cette culpabilité de l'avoir blessé irréversiblement.

«-Qu'est-ce que Lylian t'a fait Zélina ?»

Mes larmes redoublèrent. J'avais toujours les paupières closes, tandis que je revivais sans pouvoir m'en empêcher tous les moments que j'avais traversés avec lui.

«-Zélina, est-ce qu'il t'a touché ?»

Elsa prenait cela trop à coeur, comme s'il s'agissait de sa propre vie.

«-Non, il ne m'a touché, il n'a rien fait. C'est ça le problème. Il n'a rien fait, il ne m'a rien dit. Et moi, je... Je n'aurais jamais dû...»

Ma voix se brisa et mes épaules se soulevèrent, contractées par des sanglots incontrôlables.

«-Tu n'aurais jamais dû faire quoi Zélina ? Parle moi. Libère-toi.»

Les mots d'Elsa s'enfoncèrent en moi. Libère-toi...

«-Je n'aurais jamais dû entrer dans cette pièce...»

Ma voix était étrangement calme, comme libérée de toute contrainte. Je laissai mes cordes vocales vibrer au rythme de mes souvenirs, les mots sortir au gré de mes émotions.

«-J'ai trouvé le meurtrier de mes parents.»

Je sentis Elsa retenir son souffle de l'autre côté de la porte. Elle ne comprenait sûrement pas ce que j'entendais par là et elle ne s'attendait pas à ce que je dise cela, mais elle ne dit rien, dans un respect mutuel et laissa planer le silence dans l'espoir que je le comble de nouveau par mes révélations.

Je repris, la voix toujours aussi reposée et vibrante d'émotions.

«-Je l'ai cherché pendant trois ans et maintenant que je sais qui c'est, je voudrais revenir en arrière. Je voudrais tellement revenir en arrière...»

Un nouveau silence. Une nouvelle absence de respiration de la part d'Elsa. Je compris qu'elle était suspendue à mes lèvres, que, comme moi, elle attendait de savoir ce que j'allais dire, mais qu'elle n'osait pas m'interrompre de peur que je me referme de nouveau.

«-C'était le père de Lylian dans cette voiture. Il a voulu se venger parce que mon père couchait avec sa femme.»

J'émis un petit rire accompagné d'un rictus amer. Dit comme cela, on se serrait pensé dans l'une de ses séries policières niaises où un mari se venge sur un amant. Finalement, ma vie se résumait peut-être à cela : une série de mésaventures que l'on pourrait retrouvé dans des séries pour ados.

J'entendis Elsa renifler derrière la porte. Elle pleurait. Je savais qu'elle s'attendait à tout sauf à cela. Je comprenais ce qu'elle ressentait parce que j'avais ressenti la même chose. En plus de m'avoir caché l'existence de son frère, mon père m'avait caché qu'il couchait avec une autre. Quels autres mensonges m'avait-il dissimulé ? Moi qui voyait mon père comme ce mec parfait à l'accent britannique, je me retrouvai maintenant avec une image corrompue de celui qui avait été un modèle depuis mon enfance. Tout ce que j'avais bâti, tous les souvenirs que j'avais reconstruit pour les faire vivre un peu plus en moi, pour ne pas les oublier, toute notre histoire à laquelle je n'avais cessée de penser, tout. Tout était basé sur des supercheries. De simples et purs mensonges. Cela me rendait malade.

Je sentis soudain une vague de détresse m'envahir. Juste avant d'affronter rudement mes souvenirs, j'eus le temps de souffler à Elsa :

«-Elizabeth, va-t'en maintenant s'il te plaît.»

Je n'avais jamais appelé Elsa par son prénom entier. Tout comme mon père n'avait jamais dépassé les limitations de vitesse. Il fallait un début à tout... qui pouvait aussi marquer une fin.

J'entendis Elsa se lever, puis descendre les escaliers. J'eus un petit pincement au coeur de laisser partir comme cela, sans autres explications. Mais je ne pouvais pas lui en dire plus. Les mots que j'avais réussi à sortir m'avaient achevée. Cette vérité était désormais ancré en moi avec une telle force qu'il faudrait me tuer pour l'en extraire.

Je parvins à rejoindre mon lit, tel fondu rongé par la Braise, dans lequel je m'effondrai, inconsciente, maltraitée par des souvenirs dont la violence augmentait sans cesse.

T1 | S'il suffisait que je te le dise...Where stories live. Discover now