•Chapitre 38• «Words cut deeper than a knife...»

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Nous étions mercredi après-midi. La chaleur extérieure était surprenante pour un début de février. Pourtant, semblant défier toute loi météorologique, le soleil luisait, écartant toute ombre du moindre nuage osant s'aventurer dans sa course.

L'atmosphère dégageait quelque chose d'estival alors que l'hiver était toujours là. Le réchauffement climatique venait d'abattre une carte de plus.

Nous étions assis sur l'herbe, encore humidifiée par la rosée, du parc attenant au lycée. Lylian allait commencer son entraînement de basket dans une heure. J'avais ma tête posée sur son épaule et je savourai simplement la douceur du moment. Rien ne pouvait le gâcher.

Lylian, après un long silence, me poussa gentiment et je roulai sur le sol en rigolant. Allongée sur le dos, je sentais l'herbe me chatouilleur la nuque, tandis que Lylian s'accroupit sur moi. Il me sourit et mon rire de figea.

Notre proximité soudaine me mit mal à l'aise et pourtant je n'avais pas envie de le détruire. Je demeurai interdite tandis que Lylian s'approcha dangereusement de mes lèvres. Je sentis son souffle près du mien. Le temps en fut suspendu et le calme du moment ne parvint pas à calmer ma respiration. Lylian, lui, semblait détendu, comme toujours.

D'un coup, ses lèvres prirent possession des miennes dans une tendresse traître. Doucement, je me laissai aller et lui rendis son acte d'amour pur, les yeux clôts, comme pour mieux profiter de l'instant présent.

Ses lèvres avaient un goût de cannelle, leur donnant une consistance sucrée très agréable en bouche. J'aurais voulu que ce moment dure indéfiniment tant il était agréable. Je sus en cet instant même que rien ne nous séparera.

Pourtant, une voix infantile et gazouillante me fit me redresser brusquement :

«-Maman, elles font quoi les deux personnes dans l'herbe ?»

Le moment de gêne passé, je repérai la source de ce questionnement. Il s'agissait d'un petit garçon, d'environ six ans, accompagnée de sa mère, qui semblait autant embarrassé que nous. Lylian se leva et s'approcha du petit, avant de s'accroupir pour se mettre à sa hauteur, avec un grand sourire aux lèvres :

«-Tu vois ça, c'est ce qu'on appelle l'Amour.»

On aurait presque pu entendre la majuscule allégorique au mot Amour dans sa phrase tellement il y croyait.

Le petit acquiesça, songeur, et la mère ne dit rien, toujours gênée de nous avoir dérangés.

«-Tu sais, reprit Lylian avec une voix posée. C'est la plus belle chose qu'il existe au monde...

-Et c'est pour cela qu'on a pas le droit de déranger ces gens-là, enchaîna la mère, désolée, en lançant un regard reconnaissant à Lylian. Allez Mathis, on y va maintenant.»

Dans un dernier échange, les deux personnes s'en allèrent, mais les yeux du petit restèrent fixés sur nous un long moment, comme s'il essayait de comprendre ce qu'il venait de se passer.

Lylian, son sourire fétiche scotché aux lèvres, revint vers moi et, tout en s'asseyant près de moi, murmura, ravi :

«-Il est chou, ce petit.»

Il avait les yeux perdus dans le vague, comme s'il vivait un rêve éveillé. Je murmurai :

«-Tu ferais un bon père.»

Je ne savais pas ce qu'il m'avait pris d'émettre cette hypothèse. Il n'y avait aucun sous-entendu là-dessous, mais Lylian eut un léger sourire coquin. Je rougis et il m'embrassa de nouveau, toujours avec la même délicatesse. Vraiment, rien ne le gênait.

***

Cela faisait maintenant vingt minutes que nous étions là, à profiter invariablement du temps étonnamment brillant se février. Rien n'aurait dû gâcher ce moment. Rien.

Mais j'eus la maladresse de demander, de but-en-blanc, sans réfléchir :

«-J'aimerais bien rencontrer tes parents.»

Lylian retira violemment sa main posée dans la mienne et ses muscles se bandèrent par spasme. Un long frisson lui parcourut le dos et je compris que je venais de toucher un sentier sensible. Très sensible. Encore une fois.

Il détourna la tête, loin de mon regard et je le vis se mordre la lèvre. Je me repris, aussitôt emplie de culpabilité :

«-Excuse-moi.»

Je m'en voulais, mais j'en avais aussi marre. Marre de ne pouvoir parler de rien en sa présence. Marre de devoir m'excuser à chacune de mes questions. Marre de ce changement de comportements fréquent de Lylian.

Je me butai espérant et attendant une explication de la part de Lylian. Mais il ne disait rien, toujours tendu.

Énervée, je me levai, dans l'objectif de partir mais une main me retint. La main de Lylian.

«-Zéli, reste s'il te plaît.»

Sa voix était presque suppliante. On aurait presque cru y lire des reproches. Des reproches ?!

«-Pourquoi veux-tu que je reste ? crachai-je, emplie de véhémence. Pour que j'ai à supporter tes changements d'humeur insupportables ? Pour que tu te braques à chaque fois que j'évoque ta petite personne ?

-MA personne ?»

Sa voix grimpa dans les aigus. Je venais de toucher quelque chose de sensible. Une fois de plus. Les yeux de Lylian s'assombrirent et je retrouvai chez lui cet air menaçant que je craignais tant.

«-Tu crois que...»

Il se tut, tremblant. Ses muscles saillants me firent peur et je reculai de quelques pas, effrayée.

Lylian secoua la tête en fermant les yeux, exaspéré.

«-Laisse tomber, Zéli.

-Moi, laisse tomber ? Non, toi laisse tomber. Tu sais quoi ? Tu m'énerves. On ne peut parler avec toi sans que tout tourne mal et...

-Zéli, arrête...»

Malgré sa voix suppliante, je poursuivis, sous le coup de l'énervement, déversant toute ma colère, toute ma tristesse, toute ma déception, tout mon amour.

«-Tu ne penses qu'à toi ! Il n'y a que toi. Toi ! Toi ! Toi ! Tu ne te rends pas compte que je...

-Zéli...

-... je souffre moi de tout ça...

-Zéli, s'il te plaît...

-...Tu es égoïste et tu...

-ARRÊTE !!»

Je me stoppai nette, choquée par sa voix agressive. Je constatai alors qu'il pleurait.

Lylian Johnson pleurait.

Ses larmes créaient un long sillon sur ses joues et ses épaules tremblaient sous les sanglots. Toute l'agressivité l'avait quitté.

Je le regardai, pantelante et, à mon tour, toute colère me quitta. Je me rendis alors compte de toute ce que j'avais dit, tout ce que je lui avais balancé, comme cela, sans filtre, avec une colère pure. Mes mots l'avaient blessé. Les mots blessent toujours plus que n'importe quelle arme. Ils sont froids, ils sont durs, ils sont tranchants.

Lylian ne disait rien, ses yeux humides se contentant de me fixer. Seule de la tristesse profonde s'y lisait.

Je restai muette, sentant mes yeux s'humidifier à leur tour. Lylian fit durer le silence. Silence qui sembla durer une éternité.

Finalement, il brisa cette glace et murmura, froidement, en tentant de contrôler de nouvelles larmes, qui menaçaient de couler :

«-Faut que j'aille m'entraîner.»

Il me contourna, attrapa son sac de sport et s'en alla, encore tremblant de larmes.

Lorsqu'il fut hors de mon champ de vision, je me laissai tomber sur le sol, sur l'herbe encore chaude et aplatie par nos deux corps.

T1 | S'il suffisait que je te le dise...Where stories live. Discover now