Chapitre 37 - Simon

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Nous avions traversé cette forêt de long en large. Enfin, devant nous, il y avait une nouvelle ville. Le psy et moi n’arrêtaient plus de tousser, et Lindsey gardait ses distances.

- Tu me passes l’argent ? dit Lindsey en tendant les mains.

- T’as besoin de combiens ? dis-je en plissant les yeux.

- Et toi, tu veux des vêtements, oui ou non ? s’énerva-t-elle. Je suis tanné de te voir greloté comme ça. Passe-moi l’argent, et je reviens dans dix minutes. Je veux juste t’acheter un manteau.

En soupirant, je consentis enfin à lui donner cinquante dollars. Lindsey les pris sans un merci et fonça vers les magasins. Le psy et moi restâmes en bordure de la forêt pour se cacher de la vue.

- Elle pourra aux moins nous servir à une chose, marmonnais-je. J’aurais dû lui demander d’acheter des cigarettes, en même temps

Le psy me donna une claque derrière la tête. Je m’éloignai aussitôt de lui en grimaçant.

- Ne me dit pas que t’as appris cette technique à l’université, dis-je en plaquant ma main derrière ma tête.

- Non ; au centre de redressement, dit le psy avec un sourire.

Je secouai la tête, lasse, et m’assis dans la neige. J’avais déjà tellement froid que je ne la sentais même plus.

- À quoi ça nous sert de trainer cette fille ? demandais-je au bout d’un moment. C’est bien beau qu’elle sache faire de la télékinésie... et ensuite, c’est sensé nous servir à quoi ?

Le psy lança un regard vers la ville, comme s’il avait peur que quelqu’un nous voie, ou que Lindsey soit toujours dans les parages. Il dût être satisfait par ce qu’il voyait, car il s’assis en face de moi, adossé à un arbre qui laissa tomber quelque épine sur sa tête sans qu’il ne s’en rende compte.

- Ça fait très longtemps qu’on n’a pas retrouvé la trace de la télékinésiste, dit le psy dans un soupir. Au moins quatre ou cinq vie. C’est parce que... quand on la retrouve, il est toujours trop tard. Elles ont une certaine tendance... suicidaire.

J’ouvris la bouche, sans rien répondre. Je ne portais pas vraiment Lindsey dans mon cœur, mais je n’avais pas envie non plus qu’elle se tire une balle dans la tête !

- Je crois qu’elle a déjà essayé. Je ne suis pas sûr. Elle ne l’a pas dit directement et il valait mieux ne pas poser la question. (Le psy garda le silence quelques secondes, me regardant droit dans les yeux. Je baissai les miens, passant le doigt dans un trou que j’avais aux genoux.) Tu ne vas pas lui poser la question, hein ?

- Non, dis-je aussitôt. Je suis pas curieux à ce point. Et puis, au pire, je suis un assez bon menteur.

- Tu es vraiment le parfait contraire de ton frère, dit le psy dans un rire.

- Pas tant que ça ! On aime tous les deux Mario Kart et les films de Super-Héros... Et on se ressemble beaucoup...

- Et ?

- Et c’est tout, dis-je en baissant les yeux. Il est excellent où je suis pourrit. Et il est pourrie où je suis excellent.

Il y eu un long silence, alors que j’évitai toujours le regard du psy. Il savait lire en moi comme dans un livre ouvert, et c’était certainement ce qui m’énervait le plus avec lui. Mais en même temps, ça m’arrangeait ; je n’avais pas besoin de tout dire pour qu’il puisse tout comprendre. Je n’avais pas besoin de répéter à toutes les cinq minutes à quel point mon frère me manquait pour qu’il le sache. Et de toute façon, je crois bien que la planète entière en était consciente...

- Ça fait combien de temps que Lindsey est partie ? demandais-je au bout d’un moment.

- Peut-être dix minutes.

- Les filles et le magasinage...

- Simon, soit gentil, avec elle...

- Elle est même pas là pour savoir si je suis gentil ou méchant ! Qu’est-ce que ça peut lui faire si je fais une remarque sur les filles ? Elle pourrait bien répliquer « les gars et les voitures » si elle le veut, moi, je m’en fou !

Le psy secoua la tête, sans rien ajouter. Dans un autre long silence, j’eu le temps de griller une cigarette entière avant que le psy remarque :

- C’est vrai qu’elle prend du temps.

- Merci de t’en rendre compte, dis-je en soupirant un dernier nuage de fumer en levant les yeux au ciel. Tu proposes quoi ? On reste sagement ici, ou on va voir ce qui se passe ?

- Tu restes sagement ici, et je vais voir ce qui se passe.

- Mais je veux pas rester ici à geler le cul pendant que tu vas te réchauffer dans les magasins !

- T’aurais dû penser à sa avant de t’évader de prison ! Ta tête est partout, je te rappel. Et les policiers ne sont pas loin, déjà, t’as été vu dans la ville voisine.

Je grognai en guise de réponse. Le psy me fit un petit sourire et me donna une petite tape sur le genou.

- Je reviens dans dix minutes, dit-il. Pour de vrai, cette fois. Si je reviens pas, tu peux présumer que j’ai été assassiné.

Je hochai la tête, grimaçant à l’image, et le psy partie vers la ville. Pour passer le temps, et surtout pour m’empêcher de penser à Elwin, je comptai jusqu’à soixante. J’eu le temps de compter sept fois jusqu’à soixante et une fois une plus jusqu’à vingt-deux avant que je n’entende des pas venir vers moi. Je me repliai derrière mon arbre et regardai discrètement, espérant que c’était le psy, ou Lindsey, ou les deux, mais la personne était trop loin pour ma vision.

- Simon, c’est moi ! dit la voix du psy au loin.

Je soupirai de soulagement, et me levai, sans aller à sa rencontre. Il était trop près du bord de la forêt et j’avais peur de me faire voir par les passants.

- Alors ? Où est Lindsey ? demandais-je quand le psy fut assez près.

- Je l’ai pas trouvé, dit-il en secouant la tête d’un air lasse. Des gens l’on vu entrer dans un magasin, personne ne l’a vu en sortir. J’ai fouillé le magasin, j’ai cogné aux portes des cabines d’essayages... tout ce que j’ai vu, c’est un manteau trainer au sol.

Le psy leva le bras où était le manteau en question, et me le tendis pour que je l’enfile. Je ne m’étais même pas rendu compte qu’il en portait un.

- Qu’est-ce que ça veut dire ? dis-je en arrachant l’étiquette de prix qui pendait de la manche. Elle n’a plus envie de rester coincé avec moi et elle, pendant qu’elle cherchait un manteau, s’est dit « tant pis ! », à laisser tomber le manteau au sol et est partie en courant du magasin pour retourner chez elle, tellement vite que personne ne l’aura remarquer quitter le magasin.

- Tu te rends compte que ça n’a aucun sens, ce que tu dis ? dit le psy en secouant la tête. Elle a disparu soudainement. C’est surement Bleu.

- Oh, pas encore lui, dis-je en soupirant et levant les yeux au ciel. Ce qu’il peut me faire chier ! Bleu !

Bleu apparût presque aussitôt devant moi, sans dire un mot. Il semblait presque déconnecter. Ou plutôt, on aurait dit un robot sur le point de tomber en panne de batterie.

- Qu’est-ce que t’as fait de Lindsey ?

- Bleu à dit à Bleu : « pas bleu meurtre, pas bleu kidnapping ». Bleu ramener la fille magique bleu chez elle bleu.

J’échangeai un regard avec le psy, soupirant encore une fois. Il fronça les sourcils et haussa les épaules, et je me souvins qu’il n’avait pas pu entendre ce que Bleu avait dit.

- Il a ramené Lindsey chez elle.

Le psy émit un grognement. Il ne semblait pas enchanté du tout par cette nouvelle.

- Elle n’a plus sa place chez elle. Sa mère va la bombarder de question à en plus finir, elle va péter les plombs et va finir par faire une tentative de suicide.

- À ce point-là ? dis-je en haussant les sourcils. C’est pas un peu...

- Exagéré ? Tu crois ? termina le psy à ma place. Toutes ses vies antérieures se sont suicidé vers l’âge de seize ans. Et devine quoi ? Elle a seize ans. Même bientôt dix-sept. Un rien pourrait lui faire péter les plombs !

- Bon, je propose qu’on retourne la voir, on lui pose la question si elle veut venir ou pas. Sans insister sur rien. Si elle dit non, on repart tout de suite. Ça te semble juste?

- Oui.

- Alors voilà. Bleu, amène-nous à Lindsey, encore une sainte fois...

- Bleu non. Bleu peut pas. Bleu dormir.

- Hein ? Elwin dors ? Et alors ?

- Bleu dormir, mais pas bleu dormir... c’est le bleu méchant monsieur bleu lui faire dormir...

- Attend, j’ai rien comprit. Tu peux pas faire une phrase avec un peu plus de professionnalisme dans la syntaxe ?

- Bleu pas bleu dormir vraiment... Bleu inconscient. C’est pas bleu pareil.

- Elwin est inconscient, répétais-je en lançant un regard vers le psy. À cause du... méchant monsieur. C’est, quoi... il s’est fait assommé ? Drogué ?

- Bleu les deux. Bleu est Bleu donc si Bleu inconscient, Bleu aussi, Bleu peut rien faire bleu.

Je hochai mollement la tête, sous le choc. Ça me tuait de savoir qu’on faisait du mal à mon petit frère et que je ne pouvais absolument rien faire pour le protéger.

- Pourquoi tu ne vas pas l’aider ? Tu devrais tout faire pour le sortir de là !

- Bleu dit à Bleu de rien faire contre le méchant bleu monsieur. Et Bleu peut rien bleu faire. Bleu inconscient !

- Tu m’es déjà apparût alors qu’Elwin dormait ! Alors pourquoi tu peux rien faire s’il est inconscient, hein ?!

- C’est pas bleu la même chose ! Bleu est Bleu !

- Alors pourquoi t’es là, devant moi !

- Bleu peut pas ! hurla-t-il, et je sursautais en reculant de quelque pas. Bleu plus que quelque bleu seconde, Bleu peut juste bleu parler, Bleu peut rien faire d’autre ! Bleu enfermer dans une bleu pièce petite et inconscient dans quelque seconde !

- Alors il est pas encore inconscient ?! m’écriais-je à mon tour. Eh bien va le sauver, merde !

- Bleu a dit à Bleu de rien faire. Bleu peut pas dire non à Bleu ! Bleu peut pas !

- Il doit bien y avoir une chose que tu puisse faire pour l’aider !

Sans prévenir, Bleu disparût. Je restais là, à fixer l’espace vide entre deux arbres. Je me sentais trembler de tout mon corps, de mes mains, surtout. Bleu l’avait bien dit ; quelques secondes, et Elwin sera inconscient. Et alors, Bleu disparaitra. Donc, c’était fait. Elwin et Bleu était, d’une façon qui me dépasse, connecté l’un à l’autre. Sa devait faire du sens que, si l’un était inconscient, l’autre l’était aussi.

Le psy mit une main sur mon épaule, comprenant par se long silence que Bleu était partit. Je me retournai lentement vers lui.

- Qu’est-ce qu’il a dit ?

- Il a dit... (Je toussai pour essayer de retrouver un peu de voix.) Il a dit que... Qu’il ne pouvait pas nous aider.

Le psy serra sa main un peu plus fort sur mon épaule. Il y eu, encore une fois, un long silence. Le psy cherchait à croiser mon regard, je faisais de mon mieux pour l’éviter. Je fixai mes yeux sur les poches de son manteau, où était caché mes cigarettes et mon briquet.

- Qu’est-ce que tu veux faire ? me demanda-t-il. On continu vers la Virginie, ou on va retrouver Lindsey ?

Je haussai les épaules alors que je réfléchissais à la question. Tout ce que je voulais, c’était Elwin. Mais il fallait voir les choses en face ; Elwin était à je ne sais combien de mille, voir des millions de kilomètres, et Lindsey était à un peu moins de trente.

- Lindsey, marmonnais-je faiblement.

Le psy me donna une tape dans le dos, me félicitant d’avoir fait le bon choix. Je profitais du moment pour reprendre mes cigarettes avant qu’il ne se retourne.

BleuWhere stories live. Discover now