Chapitre 8

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Pour le reste de la journée, il ne se passa rien du tout. Du moins, je crois que c'était la journée, c'était un peu difficile à dire, puisqu'il n'y avait pas de fenêtre et que je n'avais pas l'heure dans ma chambre. Quand j'eus commencé à avoir très faim, j'avais appuyé sur le bouton, et Finlah m'avait apporté à manger. Steak, riz, quelque légumes, accompagnés d'une bouteille d'eau. Encore une fois, j'avais été surpris par le gout de l'eau. C'était surement les bouteilles qui coutaient le moins cher au magasin. Ou bien qu'ils y eussent ajouté « quelque chose ». C'était surement ça, justement, car j'avais remarqué qu'on ne m'avait donné aucun médicament avec mon repas, ce que je trouvais un peu inquiétant, mais tout de même préférable.

Peut-être une heure plus tard, les lumières de ma chambre s'éteignirent d'elles-mêmes. J'en avais déduit qu'il était temps de dormir. Puisque j'étais déjà dans le lit, sous les couvertures, à essayer de me trouver un moyen de me débarrasser de Bleu, et la seule chose dont il me restait à faire, c'était de fermer les yeux. L'avantage, ici, c'est que je ne partageais la chambre avec personne. Si Bleu avait envie de tuer quelqu'un dans le seul but d'attirer mon attention (ce qui, à coup sûr, allait marcher), au moins, il ne pourra pas, car, justement, il n'y avait personne. J'étais son seul choix, et je savais qu'il ne me ferrait jamais rien. Il me l'avait répété plusieurs fois, dans ma tendre jeunesse : « Bleu ne fera jamais de bleu mal à du bleu ! Bleu jamais ! » car, oui, j'avais posé la question plusieurs fois.

J'en étais venu à ses conclusions rassurantes quand un bruit étrange me fit sursauter. J'étais à deux doigts de sombrer dans le sommeil, et pendant un instant, je crus que je faisais un rêve très réaliste. Mais non, ce n'était pas un rêve ; la bouche d'aération, située sur le mur en face de la porte, tremblait. Du moins, je crois, car il n'y avait aucune lumière. Je me levais, bras en l'air pour ne rien heurter, puis trouva la lampe, que j'allumai. En regardant vers la bouche, je vis que je ne m'étais pas trompé ; je voyais, très clairement, le visage de Marie la Reine, qui essayait d'ouvrir la bouche, sans y parvenir.

- Salut, El ! dit-elle en posant les yeux sur moi. Je suis venu te délivrer de ta solitude !

- Heu... je m'appelle Elwin, en fait.

C'était la seule chose que j'avais pu trouver. J'ai toujours évité la solitude comme la peste, mais là, avec Bleu, je la trouvais bienvenue. Et c'est quand je me dis ça que, boum, je ne suis plus seul...

- Quoi, tu m'avais menti ? dit-elle, l'air attristé. Tu m'avais dit que tu t'appelais El !

- Je voulais dire Elwin, j'ai pas eu le temps de tout dire ! Je suis pas un menteur. Qu'est-ce que tu fais là, de toute façon ?

- Je suis venu te délivrer de ta solitude !

- Je sais, tu l'as déjà dit.

Moi qui croyais, au premier coup d'œil, qu'elle était seine d'esprit. Comme quoi il ne faut jamais se fier aux apparences...

- Il faut que tu me suives, dit-elle en recommençant à essayer d'ouvrir la grille. Il le faut !

Elle poussa de tous ses forces, mais la grille ne céda pas d'un centimètre. Va savoir pourquoi elle tenait tant à ce que je la suive, je me décidais de l'aider, prenant la chaise du bureau et la portait jusqu'au mur et grimpait dessus pour être bien en face de Marie, sauf pour la grille qui nous séparait.

- T'as un tournevis, ou quelque chose ? lui demandais-je.

- Non. Je n'ai que ça.

Elle agita ses doigts devant son visage pour bien me les montrer.

- Alors comment t'as fait pour te retrouver là ?

- La grille de ma chambre, ça fait des mois, si c'est pas des années, que je tire dessus. Elle a fini par céder. Les autres aussi. Reste plus que la tienne.

- Des années ? m'écriais-je. Merde, je suis pas près de sortir d'ici...

- Je te le fais pas dire, le bleu !

- M'appelle pas comme ça !

- Panique pas, c'est comme ça qu'on appelle les nouveaux ! T'as jamais entendu l'expression ?

- Bien sûr que si, soupirais-je. Bon, peu importe, on peut pas ouvrir la grille. Si j'en suis pour rester ici des années, elle finira bien par céder un jour ou l'autre, comme la tienne. Là, tout de suite, je veux seulement dormir. Compris ?

- Non, je veux que tu viennes tout de suite !

- Je peux pas ! criais-je, commençant à perdre patience. La grille s'ouvre pas, t'as bien vu ! Laisse-moi, maintenant !

Alors même que je disais maintenant, la grille se décrocha d'elle-même. Et plutôt que de tomber au sol dans un grand fracas, elle se posa doucement sur le bureau, comme si une force invisible était derrière tout ça.

Je serais les poings et pris une grande inspiration, essayant de me calmer, puis murmura, assez bas pour que Marie la Reine n'entende pas :

- Merci, Bleu.

Et du simple fait que j'avais dit son nom, je le vis apparaitre, près du bureau, une main toujours sur la grille.

- Pas de bleu quoi !

- Ouah, c'est toi qui as fait ça ?! s'écria Marie. La grille s'est retirée toute seule ! Tu sais faire bouger des objets avec ta pensée, genre ? C'est pour ça que t'es ici ?

- Bien sûr que non ! Arrête de dire n'importe quoi ! Pousse-toi, maintenant, si tu veux que je te suive, sinon je vais replacer la grille avec ma pensée, comme tu dis.

- Très bien ! T'as qu'à me suivre !

Marie la Reine se retourna et refit le chemin inverse dans le conduit. J'essayai d'y grimper à mon tour, mais c'était trop petit pour bien bouger. Je fis sûr que Marie soit assez loin pour ne pas m'entendre, puis me retournais vers Bleu, honteux.

- Tu pourrais pas m'aider ? J'arrive pas à grimper...

Aussitôt dit, Bleu s'approcha de moi pour m'agripper par les jambes et me soulever. Je pus passer mes bras, puis ma tête et tout le reste. Bleu me lâcha qu'une fois mon deuxième pied dans le conduit. Je voyais toujours Marie au loin, mais j'avais encore un peu de temps avant qu'elle ne disparaisse à ma vue.

- Bleu, dis-je en me retournant vers lui, je suis désolé pour ce que je t'ai dit tout à l'heure, mais, s'il te plait, si t'as vraiment besoin d'attirer mon attention, t'as qu'à faire tomber quelque chose, je saurais que c'est toi. T'as pas à tuer des gens pour moi, OK?

- J'avais bleu essayer ! Bleu ne remarquait jamais bleu ! Bleu disait que bleu venait de bleu son imagination !

- Je n'avais pas remarqué...

- Bleu justement ! Je bleu étais triste, Bleu croyais que Bleu avait oublié Bleu !

- Je suis désolé, je voulais pas...

- Bleu était bleu méchant avec Bleu !

Je lançais nerveusement un regard dans les conduits ; je ne voyais plus Marie, elle était trop loin, et il faisait trop sombre.

- On en reparlera à mon retour, OK?

- Bleu non ! Tout de bleu suite !

- Arrête, un peu ! Désolé, mais disparais !

Comme je l'avais demandé, Bleu disparut aussitôt. Il avait réussi à me faire sentir mal en l'espace d'une seule minute. Préférant essayer de l'oublier, comme je l'avais fait ces six dernières années, j'avançais à quatre pattes dans les conduits jusqu'à ce que je pus retrouver Marie. Je la suivis ainsi pendant peut-être cinq minutes. Nous arrivâmes devant une nouvelle grille alors que je sentais que je commençais à manquer de souffle. Cette grille-là s'ouvrit facilement, contrairement à la mienne. Marie se laissa tomber au sol, et je m'approchai du bord, toujours à quatre pattes, pour voir que j'étais de retour dans une chambre en tout point identique à la mienne, si ce n'est qu'elle contenait trois autres personnes, en plus de Marie. J'avais enfin, devant moi, les quatre types qui n'arrêtaient pas de m'observer, quand j'étais dans la grande salle. Il y avait, autre de Marie, un petit asiatique, une grande rousse et un moyen latino.

- Salut, El ! s'exclamèrent-ils tous en même temps.

- Elwin, rectifiais-je.

- C'est pas un menteur ! s'écria aussitôt Marie.

Le petit asiatique m'apporta une chaise pour m'aider à descendre du conduit. Aussitôt mes deux pieds à terre, il m'attrapa la main entre les siennes et la secoua vigoureuses de haut en bas, un large sourire au visage.

- Salut, Elwin ! Moi, c'est Sushi !

- C'est vraiment ce qui est écrit sur ton baptistaire ? demandais-je, mal à l'aire.

- Non, mais c'est pas grave, tout le monde m'appelle Sushi!

Je hochai la tête, ne sachant pas trop quoi répondre à ça. Les deux autres qui ne s'étaient toujours pas présentés s'étaient mis à me tourner autour, comme pour voir si j'étais un bon morceau de viande. Ils me rendaient assez mal à laisse, mais je jugeai préférable de rester avec eu, au moins pour savoir ce qu'ils me voulaient, ou admettre qu'ils n'étaient que des malades mentales parmi tant d'autres.

- T'es ici depuis quand ? demanda la grande rousse, qui me dépassait d'une bonne tête. Une heure ? Une journée ? Une semaine ? Une mois ?
- Je crois qu'il faut dire un mois, marmonnais-je.

- Ça rendait le truc moins beau. Tous les autres, c'est des unes. Alors, comme ça, t'es ici depuis toute une mois ? Et ce n'est que maintenant qu'on te voit ? C'est pas juste !

- Heu, non, en fait, je suis arrivé ce matin.

- Comment tu sais que c'était le matin ?

- Eh bien... C'était il y a plusieurs heures, si tu préfères.

- Alors peut-être que t'es arrivé au milieu de la journée.

- Peut-être... Personne n'a l'heure, ici ?

- Pour quoi faire ? Ça ne ferait que rendre le temps plus long !

La rousse s'arrêta de me tourner autour après ce qui fut le cinquième tour, s'arrêtant directement devant moi, puis me tendit la main d'un air solennel.

- Je m'appelle Rose. Mais t'as le droit de m'appeler Orange, tout le monde le fait. Mais pour toi, il faudra en revanche que je t'appelle Bleu.

- Je vais t'appeler Rose, grognais-je.

- Et moi, et moi ! s'écria le dernier en sautillant. M'oubliez pas !

Je me tournais vers lui, le moyen latino, qui en était encore à sautiller. J'attendais patiemment, mais il ne disait plus rien, attendant que je pose la question.

- Et toi, comment tu t'appelle ?

- Mario Bros !

- D'accord...

Cette fois, c'était dit. Je leur avais laissé leur chance, mais là, c'est clair, ils étaient tous timbrés.

- Et toi, maintenant ? dit Marie la Reine. Tu veux te faire appeler comment ?

- Elwin, ça me va.

- Mais non ! C'est déjà ton nom. Il faut autre chose ! Je vote pour Bleu ! Qui veut Bleu ?

Sushi, Orange et Mario Bros levèrent la main bien haut, tout contant. Je grognais, ayant plus que jamais envie de partir d'ici et de retourner dans ma chambre. J'avais envie de dire ce que je pensais vraiment de ce surnom, mais je ne préférais pas, sachant que Bleu pourrait parfaitement être là, à observer.

- Je peux savoir ce que vous attendez de moi, de toute façon ? Si ce n'était que pour me faire appeler Bleu, je peux toujours partir !

Je regrettais aussitôt d'avoir prononcé le nom tabou, car Bleu (lui, pas moi) apparut aussitôt, assis dans le lit, bien droit. Il ne semblait même pas avoir réalisé que je l'avais dit, et c'était parfait comme ça.

- Y'a pas que ça, promit ! s'écria Marie en m'attrapant le bras et me forçant à m'assoir sur le lit, juste à côté de Bleu. On voulait savoir si tu faisais partie des nôtres!

- J'en fais pas partie.

- Oh, tu sais pas ! Il faut que tu nous écoutes, en premier !

- Je fais que ça !

Sushi et Mario éclatèrent de rire, comme si j'avais dit la meilleure blague du monde. Ils commençaient sérieusement à me taper sur les nerfs. Le seul avantage que je voyais, c'est que je voyais Bleu, là tout de suite, et personne ne se fera tuer par ma faute.

- Pourquoi t'es ici ?

- Parce que tu m'as dit de te suivre, dis-je en m'installant confortablement dans le lit, commençant sérieusement à perdre patience. Et plus ça va, plus je regrette de t'avoir suivi.

Bleu éclata aussitôt de rire, seul dans son coin. Son rire, accompagné du sérieux des quatre patients, me donna envie de l'accompagner dans son rire, mais je me retins, jugeant que j'aurais surement l'air assez fou, même pour des gens qui l'étaient déjà profondément.

- Pourquoi t'es ici ? demanda-t-elle encore.

- Parce que je suis un meurtrier, répondis-je en lui envoyant un regard noir.

Encore une fois, Bleu éclata de rire. J'avais des doutes s'il trouvait la situation drôle, ou s'il voulait simplement se foutre de ma gueule.

- Cool, moi aussi ! s'écria Sushi.

Cette fois, Bleu s'arrêta de rire. Il se leva du lit et alla devant moi, comme pour me protéger de son corps. Je dus me pencher de côté pour ne pas perdre Sushi de vue.

- J'avais foutu l'appartement en feu. Près d'une vingtaine sont mortes, une cinquantaine gravement blessée. C'est drôle, j'étais dedans, et je me suis pas brulé, même pas un petit peu !

Là-dessus, il me présenta ses bras qui, comme il avait dit, ne présentait aucune marque de brulure, ni cicatrice.

- Moi, j'ai lâché des abeilles sur mon frère, dit Rose. Elles étaient tellement nombreuses, et en plus qu'il est allergique, qu'il en est mort.

Celle-là, c'était clair, je ne l'aimais pas. Il y avait moi, qui m'ennuyais de mon frère, et elle qui avait tué le siens !

- Moi, j'ai tué personne, dit Marie la Reine d'un air triste, comme si elle se sentait exclue.

- Moi non plus, dit Mario. Gravement blesser, oui, mais tuer, non. C'est triste.

- Ouais, très triste, marmonnais-je dans un soupir.

- Et toi, alors ?

- Hé, hé ! s'écria Bleu avant que je n'aie pu dire quoi que ce soit. C'est pas Bleu, c'est Bleu qui a bleu tué la salope pas bleu !

- DÉGAGE !

Bleu disparût aussitôt, alors que tous les quatre me dévisageaient sans trop savoir quoi penser. Je pris une grande inspiration, fermais les yeux, puis dit, dans un soupire.

- C'est pas moi, le meurtrier. C'est mon ami imaginaire. Voilà. Vous êtes satisfait?

À voir leur tête, il est clair qu'il ne l'était pas.

- On croyait que tu étais peut-être comme nous, fini par dire Marie la Reine. Apparemment non. Alors, tu serais qu'un timbré parmi tant d'autres.

- Et c'est toi qui aies le culot de me dire ça ?! m'écriais-je en me levant d'un bon. C'est vous, qui êtes timbré ! Laissez-moi tranquille, maintenant !

Sans leur accorder une seconde de plus, je grimpais dans le conduit par moi-même, sans l'aide de Bleu, ce qui me prit un peu plus de temps que la première fois, puis retournais directement à ma chambre. Cette fois, c'était fini ; j'allais rester seul, dans cette chambre, pour toujours, ou jusqu'à temps que je puisse retourner chez moi. Mais je ne voulais plus jamais revoir cette bande de fous.

BleuWhere stories live. Discover now