Chapitre 15 - Simon

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Mon plan n'avait pas fonctionné comme prévu. Je n'avais pas été directement en maison de redressement. La seule chose que j'avais gagnée, c'était un renvoi et un bracelet de cheville. Le genre de bracelet qui va avertir la police si j'ose mettre le pied en dehors de la propriété, comme dans ce film avec Shia LaBeouf.

- Au moins, t'auras essayé, me dit Mélissa à travers le téléphone.

- Mouais, essayer, c'est toujours bien, grognais-je. En plus d'être privée de sortie – et pas d'un simple caprice de ma mère, hein, c'est vraiment la police qui ne veuille plus que je sorte ! – eh bien ma mère a ajouté son grain de sel, bien sûr. Parce que, maintenant, elle sait que je fume. Et donc, je suis carrément enfermée dans ma chambre. Plus d'ordinateur, plus de livre, plus de télévision. Elle a carrément sorti toute forme de divertissement de ma chambre. La seule chose qu'il me reste, c'est mon téléphone, pour propager la mauvaise nouvelle. Et je n'en ai plus pour longtemps, parce qu'elle a aussi pris la recharge. Ma merveilleuse idée n'aura été que la pire que je n'ai jamais eue...

- Moi, je crois seulement que tu te rapproches du but.

Il y eut un silence. Mélissa continua :

- Si la police t'interdit de faire quelque chose... fais-le quand même. Et alors, ils n'auront plus le choix de te mettre en maison de redressement.

- Tu es la pire des mauvaises influences, dis-je en riant. Mais ouais, t'as raison ! Il faut juste que je sorte, et voilà.

- Plus personne ne parlera d'Elwin, ils ne feront que de parler de toi, ou comment t'es tout aussi dérangé que ton frère. On va vous appeler « les frères diaboliques ». Encore heureux que vous ne soyez pas jumeau, même si vous vous ressemblez beaucoup.

- Tu parles d'une bonne idée !

- Où j'ai proposé quelque chose ?

- Qu'on soit jumeau.

- Je crois pas que ça se décide juste comme ça, tu sais.

- Non, je veux dire... je veux lui ressembler. Tu peux faire un achat pour moi ?

- Si tu me dis que tu veux de la teinture bleue...

- C'est exactement ce que je veux.

- Simon, le bleu, ça déteints verts. Et le vert, dans les cheveux, c'est laid !

- Peu importe du vert. Rendu là, je me couperais les cheveux. Ou bien je les teindrais à nouveau. Y'a aucun problème.

- Oh, d'accord, finit-elle par marmonner. Je suis chez toi dans dix minutes.

- Merci, merci, merci ! Je t'aime !

Après quelques mots doux en plus, Mélissa ferma l'appel. À peine une minute plus tard, mon père entra dans la chambre. Pendant un instant, je fus étonné de le voir ; il était si rarement à la maison, toujours au travail, que je le soupçonnais d'avoir en réalité une deuxième femme. Bien sûr, je n'avais partagé ma théorie avec personne, surtout pas maman.

Papa se figea en me voyant, comme s'il jugeait que ses trois secondes à partager la même pièce que moi étaient déjà énormes. Puis, il vint s'assoir sur la chaise de mon bureau. Je m'assis sur le lit en face de lui, les mains sur les genoux et le dos droit, tout pour ne pas montrer la honte que je ressentais.

- Ton frère te manque ? fini-t-il par demander.

- Oui. Bravo pour ta perspicacité.

Mon père se crispa, comme s'il était intimidé par moi. Ça réaction ne fit que me rendre encore plus honteux. Je décidais qu'il était temps de faire tomber mon masque.

- Tu sais, papa, je connais Elwin bien mieux que toi. Et Elwin n'est pas un meurtrier. Autant que je ne suis pas un fauteur de trouble. Je ne sais pas ce qui s'est passé cette nuit-là, mais ce n'était pas Elwin, le responsable. Et moi, tout ce que j'ai fait, il y a deux jours à l'école, ce n'était pas parce que j'en avais envie. C'était parce que je voulais me faire arrêter et qu'on m'emmène dans la même maison de redressement qu'Elwin. Je veux essayer de le retrouver, et je m'arrêterais pas tant qu'il ne sera pas là, devant moi.

- Tu veux un psy ?

J'éclatai de rire malgré moi. C'était papa tout craché ; tellement incapable de parler qu'il ne faisait toujours que de lancer de petite question pour que ce soit les autres qui parlent.

- Non, je n'ai pas besoin d'un psy. J'ai pas besoin de dépenser une fortune pour qu'on me dise, à la fin de la vingt-septième séance : « Bon, Simon, je crois que j'ai trouvé ton problème. Ton frère te manque. » Tu sais quoi ? J'en suis conscient ! Tout le monde le sait, pas besoin d'une personne de plus pour me le dire.

Mon père baissa les yeux en poussant un petit soupir.

- Tu fais beaucoup de peine à ta mère. Elle pleure souvent.

- J'en suis désolé. Je veux pas vous faire de peine, je veux seulement retrouver Elwin.

- Moi aussi, Elwin me manque, tu n'es pas seul là-dedans.

- Mais je suis le seul à faire quelque chose. Toi, t'es toujours au travail, toujours, toujours, même quand Elwin était là, tu nous accordais pratiquement aucun temps. J'ai toujours eu l'impression d'avoir rien qu'une mère. Et bizarrement, ce sentiment est encore plus fort quand je te vois. Depuis cette nuit-là, il y a plus de six semaines, c'est la première fois que je te parle vraiment. Tu t'en rends compte ?!

- Tu ne peux pas comprendre, dit papa en secouant la tête d'un air las.

- Je t'arrête tout de suite, si tu dis que l'argent, c'est ce qui est important, eh bien c'est que tu n'as rien compris à la vie. Ce sont les souvenirs heureux qui rendent riche. C'était la philosophie de Simon, merci.

Je me couchai dans le lit et lui tournai le dos, lui faisant bien comprendre que c'était le moment de partir. Mais mon père m'agrippa l'épaule pour me forcer à me retourner. Il ne semblait pas du tout apprécier ma façon de voir les choses. Ou bien il était simplement en colère.

- Rien ne va plus, et je ne sais plus quoi faire ! s'énerva-t-il. Je suis prêt à tout pour ne plus voir ta mère pleurer.

- Et tu n'es prêt à rien du tout pour revoir ton deuxième fils ?

- Simon, tais-toi, deux minutes, j'essaye de parler.

Papa alla à la porte et regarda nerveusement de tout côté, puis revint s'assoir sur la chaise pour me lancer un regard menaçant.

- Il n'y a rien que je puisse faire pour Elwin. Et toi encore moins. Vous deux, vous êtes des causes perdues. Deux négatifs.

Malgré ses airs menaçants, je ne pus m'empêcher de sourire ;

- Tu sais que deux négatifs, ensemble, ça fait un positif ?

- Et c'est exactement pour ça que je le dis. Écoute bien, car je ne le dirais pas deux fois : fonce trouver ton frère.

- Il va quand même falloir que tu répètes, je crois, dis-je après un long silence.

- Compte pas sur moi.

- Mais, sérieux, t'es en train de me dire que tu approuves ce que j'ai fait ? Tu approuves que j'aie fumé en classe et donné une claque sur les fesses de la prof ?! dis-je dans un rire. Et que j'ai détruit l'ordinateur du directeur ? Ouah, t'es vraiment un père indigne !

- Bien sûr que non, je n'approuve pas ! dit-il en lançant un regard nerveux vers la porte. Mais j'approuve que tu essayes par tous les moyens possibles de retrouver Elwin, OK ? En temps normal, je t'aurais foutu la raclé de ta vie à l'école, en baissant ton pantalon et te donnant des claques sur les fesses, pour que tout le monde voie et puisse rire de toi, parce que tu mériterais une bonne grosse honte.

Rien que l'imaginer me fit perdre toute envie de rire. De quoi me faire passer pour un gros con pour le reste de ma vie... mais bon, la grosse honte, je l'avais déjà fait moi-même.

- Papa, dis-je au bout d'un moment pour casser le silence, t'es vraiment bizarre, et je crois qu'il y a encore des bouts que j'ai pas compris. Mais maintenant, j'ai encore plus d'ambition pour le retrouver.

- Je veux pas que tu le fasses. Mais si tu le fais, je n'interférai pas, et, secrètement bien sûr, j'approuverai. Mais personne n'en saura jamais rien, car je ne ferais que dire, si on me pose la question, que je n'ai tout simplement pas de fils et que je ne veux plus jamais entendre vos prénoms.

- Alors là, tu seras mal barré, parce que Simon, c'est commun comme prénom. Et Elwin, c'est encore pire, parce que des tas de gens l'appel Elvis. Et Elvis, c'est le King!

Mon père ne répondit rien, comme si cette conversation n'avait jamais eu lieu. Puis il se leva et sortit de la chambre, pour revenir dix secondes plus tard et m'avertir que j'avais de la visite – une « très belle visite ». Alors qu'il se retirait encore une fois, Mélissa entra dans ma chambre, son téléphone portable dans une main et un sac en plastique dans l'autre. Avant même de me laisser le temps de la saluer, elle se débarrassa du sac et du téléphone sur mon lit et me sauta dans les bras pour m'embrasser à pleine bouche, comme si nous ne nous étions pas vues depuis des mois, alors que ça ne faisait que deux jours.

- Ta mère est plutôt impolie, dit-elle après avoir retrouvé l'utilité première de sa bouche. Elle m'a dit : « Ta une demi-heure, et tu repars. Simon est privé de sortie, il est aussi privé d'ami ! »

Son imitation me fit rire, mais pour tout le reste, c'était chiant. Ma mère ne m'avait jamais dit que je n'avais plus le droit de voir d'amis, même si ça ne m'étonnait pas d'elle.

- Si on a qu'une demi-heure, il faudrait s'y mettre tout de suite, si tu tiens vraiment à te faire des mèches.

- Ouaip, j'y tiens vraiment.

- T'as de l'aluminium ? demanda-t-elle après un soupir et en levant les yeux au ciel. Va le chercher, je vais trouver des serviettes. Et mets un vieux vêtements, car ça laisse des taches.

Mélissa et moi partîmes chacun de notre côté pour trouver ce qu'il faut. Cinq minutes plus tard, nous étions de retour dans ma chambre, prêts à me faire Elwiniser. Je sortis même une photo d'Elwin pour être bien sûr de mettre les mèches aux bons endroits. Puis Mélissa attaqua mes cheveux, faisant de son mieux pour ne pas me tacher la peau. En une demi-heure, ce ne sera pas suffisant, mais je n'avais besoin de Mélissa que pour poser la teinture, j'étais capable de me laver la tête tout seul. Et ce ne fut que dix minutes après son départ que le temps était venu de rincer. Je l'avais à l'eau froide, puis les séchait au sèche-cheveu – c'était la première fois de ma vie que je l'utilisais, et ma mère avait été cogné à la porte de la salle de bain en se demandant qu'est-ce que je faisais.

J'avais terminé de sécher et je ramassais le sèche-cheveu avant de laisser entrer ma mère. Elle avait une bouteille de push-push dans les mains ; elle venait de terminer de frotter tous les meubles du salon et de la cuisine. Mais quand elle vit ma nouvelle tête, la bouteille lui glissa des doigts, alors que son visage blêmissait à l'extrême.

- Elwin ? murmura-t-elle.

Il lui fallut une seconde avant de réaliser par elle-même que je n'étais pas Elwin, et même là, j'étais assez sûr que ce n'était qu'à cause de mes lunettes, parce qu'Elwin n'en portait pas.

Il faudrait que je me trouve des verres de contact...

- Simon, se reprit-elle lentement. Pourquoi tu as fait ça ?

- Pourquoi pas ? Ce n'est qu'une teinture, ça va faire de mal à personne.

Ma mère resta figée une seconde de plus, puis, pour ma surprise, me donna une gifle deux fois plus forte que cette de la prof de français. En pivotant, ma tête se cogna contre le cadre de porte, bien fort.

- Aouch ! m'écriais-je en passant ma main sur la bosse qui semblait déjà en train de grossir. C'était pas nécessaire !

Ma mère leva la main encore une fois, prête à ma frapper, mais se ravisa, puis baissa la main, les lèvres tremblantes. Mon père débarqua dans le corridor, marmonna un « qu'est-ce qui... », mais se ravisa en voyant ma nouvelle coupe de cheveux. Son visage vira au rouge, puis il tourna les talons et reparties vers le salon, comme s'il n'avait rien vu.

- Tu tombes vraiment bas, Simon, dit-elle, les lèvres pincées.

- Au même niveau qu'Elwin.

Sans rien ajouter, me mère pointa ma chambre du doigt. J'y allais sans rien ajouter, pensant que, demain, je sortirais de la maison et je ferais une petite balade en voiture, au-dessus de la limite permise, alors que je suis toujours privé de sortie pour tout le mois, rien que pour me faire arrêter. Pas aujourd'hui, j'avais envie de me la couler douce.Ce serait peut-être ma dernière chance de dormir dans mon lit.

Dans ma chambre, je passai devant mon miroir. Je retirai mes lunettes et reculai d'un pas, juste assez pour m'empêcher de voir les petits détails. J'avais vraiment l'impression d'avoir Elwin devant moi. Qui souriait, qui bougeait ; un vrai Elwin. Il n'aurait plus manqué qu'une petite partie de Mario Kart.

- Bonjour, je suis Elwin, dis-je à mon reflet, étant parfaitement conscient que, si quelqu'un me voyait, il me prendrait pour un taré – encore pire, il me prendrait pour Elwin. Je suis Elwin Bowan, gentille petite chose que je suis, mais tout le monde me prend pour un meurtrier. Quatorze ans de gentillesse, et regardez où ça m'a mené.

Je fis un pas de plus vers le miroir, pour bien voir mes nouvelles mèches. Pour avoir connu Elwin, je trouvais ça tout à fait naturel d'avoir maintenant du bleu dans les cheveux, même si j'avais l'impression que ça se devait d'être bizarre. Ça avait sur moi l'effet contraire, comme si, avant, il manquait de bleu. Maintenant, enfin, j'avais du bleu.

Je croisais mon regard dans le miroir, mes yeux bleus. Je fus déçu de constater que mes yeux étaient plus foncés que ceux d'Elwin.

- Vive le bleu, murmurais-je.

Je sentis mon cœur se gonfler alors que mon reflet me renvoyait un sourire ; je me sentais mieux maintenant que je ne l'avais été depuis la dernière fois que j'avais vu Elwin, alors qu'il me disait : « je vais chez Suzie, je serais de retour se soir. Promis, on le fera demain, le cadeau de maman. » C'était absurde, alors, d'imaginer que quelque chose de grave, ne serait-ce qu'un tout petit peu, pourrait arriver.

- Bleu, dis-je encore.

Mais cette fois, je ne ressentis aucun sentiment particulier. J'étais seulement là, à regarder mon reflet depuis cinq bonnes minutes, comme un abrutis. Je baissai les yeux pour ne plus me voir dans le miroir, puis me retournai pour aller m'allonger dans le lit, puis fermai les yeux.

- Bleu.

J'ouvris à nouveau les yeux. Cette fois, ce n'était pas moi qui avais parlé. Ce n'était pas non plus la voix de maman ou papa.

Près de la porte, il y avait quelque chose... de bleu. Rien qu'une grande lumière bleue en forme de silhouette.

La seule chose que je trouvais à faire, ce fut de hurler.

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