Arte Corpus 1 - Tori et Noah (Sous contrat d'édition chez Plumes du Web)

Chapitre 5 - Partie III

Noah avait eu du flair parce que je savourai littéralement mon repas, m'empêchant de pousser un soupir extatique à chaque bouchée. Nous bavardâmes de choses et d'autres, de nos goûts, de nos petites habitudes, de tout un tas de futilités qui nous permirent de nous cerner davantage et de plaisanter. Noah était, incontestablement et irrémédiablement, un homme charmant et charmeur, même si le tout était enveloppé dans un voile de finesse qui rendait le jeu de la séduction très léger. C'était agréable. Et cela fonctionnait aussi à merveille, parce que j'étais conquise.

Une fois repus, Noah m'entraîna vers le billard avec une mine enjouée qui ne me donna pas la force de lui faire part de mon indiscutable médiocrité dans le domaine. Cela faisait des années qu'Andy essayait de m'apprendre – Raph ayant abandonné l'idée depuis longtemps – mais il n'y avait pas moyen que je sache tirer convenablement. Je suivis néanmoins mon rencard dans le fond de la salle, un peu honteuse à l'idée de me ridiculiser devant lui, ou le groupe de jeunes qui s'amusaient au baby-foot en riant avec engouement. J'attrapai la queue de billard qu'il me tendit et le regardai installer les billes sur la table, la mine concentrée mais le regard aussi pétillant que celui d'un enfant devant un paquet de bonbons.

- Tu sais, Noah, je crois qu'il faut que je te prévienne : je suis très nulle à ce jeu-là, jugeai-je bon de l'informer finalement.

Il pivota pour me regarder une seconde et s'intéressa à nouveau aux boules.

- Tout est une question de pratique, Victoria. Et de logique.

- Oh, eh bien me voilà sauvée, Maître Yoda, ricanai-je, moqueuse.

Cette fois, Noah se tourna pleinement vers moi, secoué d'un petit rire amusé et pencha légèrement la tête sur le côté pour m'observer.

- Ne sois pas insolente, souffla-t-il. Ni défaitiste.

Je roulai des yeux.

- Pas défaitiste, réaliste.

- Bon, dans ce cas, c'est plutôt une bonne nouvelle en ce qui me concerne. Je vais remporter la partie haut la main.

Je plissai les yeux et lui jetai un regard faussement outré.

- Je ne pensais jamais te dire ça un jour, mais tu es un goujat.

Noah éclata de rire et contourna la table pour se rapprocher de moi. Il me désigna le billard d'un geste théâtral de la main et pencha brièvement la tête en une petite révérence.

- Honneur aux dames.

- Hum, n'essaie pas de te rattraper.

Je lui lançai un sourire effronté, rassemblai mes connaissances et mon expérience du jeu et me penchai par-dessus la table pour viser. Le tas de boules se dispersa sur le tapis vert et je me redressai, un peu revigorée par ce premier tir. A mon tour, je désignai le billard et invitai mon adversaire à jouer. Il s'exécuta, avec son petit air provocant qui ne me déplaisait pas.

S'ensuivit une véritable guéguerre silencieuse durant laquelle je fus à la fois surprise et ravie de constater que les efforts d'Andy n'avaient pas été complètement vains. Je parvins à ne pas me laisser écraser et ne me gênai pas pour titiller la patience et le fairplay de mon adversaire, à grand renfort de doux sourires destinés à l'amadouer. Ce qui fonctionna assez, jusqu'à ce qu'il comprenne mon petit manège et renverse complètement la tendance. Notre petite bataille amicale se mua alors en quelque chose de beaucoup moins sage. A chaque fois qu'il en avait l'occasion, Noah effleurait mon dos, mes bras, mes mains, de façon la plus innocente qui soit, mais pas assez pour que je ne comprenne pas son petit jeu. Si son but premier était de me déconcentrer, il y parvint aisément, de telle sorte que je n'étais plus qu'une boule de nerfs à fleur de peau à la fin de la première manche.