Arte Corpus 1 - Tori et Noah (Sous contrat d'édition chez Plumes du Web)

Chapitre 4 - Partie III

Alex m'obligea quasiment à venir passer la soirée de ce dimanche avec lui, sous prétexte qu'il était le meilleur pour me remonter le moral. Ce n'était pas entièrement faux, mais je le suspectai quand même d'avoir simplement envie de regarder un film en compagnie d'un verre de pina colada – l'une des rares boissons alcoolisées que je buvais avec plaisir. Nos amis avaient des critères très sélectifs vis-à-vis du cinéma, mais si j'avais bien un point commun avec Alex, c'était cette capacité à trouver de l'intérêt aux films les plus critiqués. Et, à défaut d'avoir une copine avec qui regarder des comédies romantiques, il faisait parfaitement l'affaire, même si c'était davantage pour se rincer l'œil sur les abdos de Ryan Gosling que pour le scénario.

- Franchement, je vois pas ce que tu lui trouves d'exceptionnel, lançai-je en désignant ledit acteur à l'écran. Il est bien foutu, certes, mais je ne le trouve pas si beau...

Alex me regarda comme si j'avais besoin d'apprendre la vie et mit Crazy stupid love – que nous avions déjà vu à plusieurs reprises – en pause.

- Crois-moi mon petit chat, il a pas besoin d'avoir la gueule d'Alain Delon quand il était jeune pour que j'ai envie de me le faire.

- Pas de doute, tu es bel et bien un mec !

- Parce que tu en doutais ? Fit-il mine de s'offusquer. Même avec ce corps viril ?

D'un geste théâtral, il désigna sa silhouette svelte, l'air choqué, déclenchant mes rires.

- Trêve de plaisanteries, je vais nous resservir à boire !

Je regardai Alex sauter du canapé sur lequel nous étions avachis et filer vers son petit coin cuisine en trottinant joyeusement. Mojito – son chat – profita de l'absence de son maître pour lui voler sa place et vint réclamer quelques caresses en se frottant généreusement sur chaque partie accessible de mon corps. Du moins, jusqu'à ce que Monsieur en ait assez et qu'il s'enfuit comme si je venais de le frapper, retournant se prélasser sur son immense arbre à chat, placé près de la fenêtre. Cette bestiole était caractérielle à souhait, sauf avec Tim, qui pouvait le papouiller à longueur de temps sans risquer de se prendre un coup de patte mécontent.

- Et ton amoureux, il rentre à quelle heure ? m'enquis-je au passage, à l'adresse de mon ami.

Alex et Tim s'étaient installées ensemble environ un an auparavant, au bout de trois ans d'une relation au cours de laquelle ils avaient sans cesse joué au chat et à la souris. Ils avaient enfin cessé de se courir après en décidant de se poser, mais leur situation n'était pas encore d'une tranquillité absolue.

J'avais rencontré Alex au collège, quand mon père avait été muté et que j'avais dû endosser le rôle de la « nouvelle », débarquant dans ma nouvelle classe au beau milieu de mon année de Quatrième. Dire que je l'avais mal vécu était un euphémisme. J'avais été arrachée à mes habitudes, à mes copines, et à Raphaël. Et j'étais tombée sur lui, ce garçon d'une gentillesse incroyable, qui se battait contre lui-même. Ou plutôt contre le fait qu'il n'était pas attiré par les filles. Il avait fait vivre l'enfer à ses parents, à son frère, parce qu'il se sentait anormal et qu'il redoutait terriblement leur réaction si, un jour, ils apprenaient son homosexualité. Je n'étais pas vraiment capable de déterminer quand est-ce qu'il avait eu ce petit déclic, cet élan de courage nécessaire pour sortir de la prison dans laquelle il s'était enfermé tout seul. Dans tous les cas, il avait fait son coming-out et tout le monde l'avait bien pris, même si Andy s'était brutalement mis à surprotéger son frère face aux injures et à l'irrespect. C'était d'ailleurs encore le cas aujourd'hui, même après toutes ces années, et c'était probablement l'un des rares sujets qui pouvaient amener les deux frères à se hurler dessus. Alex préférait laisser couler, alors qu'Andy aurait volontiers monté une armée de fantassins pour réduire en bouillis tous ceux qui avaient le malheur de juger sa moitié. Mais voilà, depuis, Alex s'acceptait pleinement et ne ressentait plus la moindre honte.