Chapitre 2 - Partie III

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Néanmoins, et malgré ce que le début annonçait, le repas se déroula dans une bonne ambiance. Andy m'avait déridé en m'enquiquinant gentiment durant l'entrée et j'avais fini par lui offrir le sourire qu'il voulait. Raph était Raph, ce qui signifiait qu'il se contenta de passer son temps à mettre mal à l'aise Angélique, qui avait été placée face à nous à côté de Noah. En les voyant s'installer aussi près de nous, je m'étais vaguement demandé ce que les fiancés avaient eu dans le crâne mais, si on mettait de côté les sourires carnassiers de Raphaël et les regards fuyants d'Angélique, tout se déroulait plutôt bien. Je n'étais pas surprise de constater que Noah était lui aussi tombé sous le coup de la sociabilité d'Alex et de Tim et qu'ils discutaient tous les trois comme s'ils s'étaient toujours connus.

A plusieurs reprises, je me surpris à dévisager le beau psychiatre à son insu. Non seulement le spectacle n'était pas désagréable mais c'était aussi une très bonne façon de commencer à cerner quelqu'un, que de l'observer à l'état naturel. Et il en résultait qu'il devait effectivement être un bon praticien. Il avait cette façon d'écouter Alex déblatérer sur des sujets insignifiants qui donnait l'impression que ça l'intéressait vraiment, à plus forte raison quand il entretenait la conversation en répondant avec un calme incroyable. Je sentais bien qu'il réfléchissait chacun de ses mots avant de les formuler et je me demandai vaguement si c'était inné ou s'il se maîtrisait en permanence, comme redoutant la moindre maladresse. Une part de moi admirait cette délicatesse, cette espèce de respect constant pour l'autre, mais j'aurai étrangement beaucoup aimé voir ce qui se cachait sous cette carapace de flegme inébranlable.

Avant que le fromage ne soit servi, les fiancés lancèrent un peu de musique pour briser l'ambiance très conventionnelle qui habitait les lieux depuis le début de la soirée. Alex bondit de sa chaise comme s'il avait le feu aux fesses et m'entraîna vers la petite piste de danse sans même savoir si j'avais vraiment envie de me trémousser au beau milieu des familles de nos amis. Remuer en boîte ou sur la plage l'été n'avait rien à voir et si je le faisais volontiers à ce moment-là, dans le cas présent, je freinai des quatre fers. Bien heureusement, nous fûmes rejoints par plus de monde que je ne m'y attendais et je pus me détendre légèrement, quand Rose nous incita à la rejoindre en se déhanchant déjà sur la musique.

Nous dansâmes un moment et je perdis finalement le fil du temps, me laissant peu à peu envahir par l'euphorie. Lorsque Rose ôta ses escarpins et les balança dans un coin pour pouvoir continuer à danser sans souffrir le martyre, je l'imitai aussitôt et la fraîcheur du carrelage sous mes pieds me fit un bien fou. Je ne les récupérai même pas lorsque Alex et moi rejoignîmes nos places pour attaquer la fin du repas. Je rassemblai mes cheveux dans une queue-de-cheval haute pour rafraîchir ma nuque et bus un grand verre d'eau. Andy, à ma gauche, avait l'air de vouloir se noyer dans son verre de vin tandis que Raph était sorti fumer, sans doute pour la millième fois de la soirée. Je posai ma main sur son avant-bras et il leva vers moi ses yeux incroyables qui ne dégageaient rien d'autre qu'une profonde amertume. Je m'en voulus aussitôt et j'en voulus à Raphaël de l'avoir planté là, en sachant pertinemment qu'il allait se mettre à cogiter et que rien n'allait en sortir de bon.

- Mon petit chou, le premier slow est pour nous !

Je fus légèrement soulagée quand il me répondit par un bref sourire. Même s'il n'atteignit pas ses yeux, c'était toujours mieux que le mur de glace qu'il était capable d'immiscer entre nous.

Je dévorai ma part de framboisier quand Romain lança la première musique romantique de la soirée et qu'il invita Rose sur la piste. Je les observai un instant, avec le cœur lourd de joie et d'envie, aussi. Je ne croyais pas vraiment à ces théories rocambolesques sur les âmes-sœurs et ces histoires d'amour éternel. J'avais peut-être été assez naïve par le passé pour penser que, quelque part, se cachait la seule personne faite pour moi. Je pensais même l'avoir trouvé pendant un moment, mais le rêve s'était transformé en cauchemar. Et ce qui était au départ une relation très forte, très passionnelle, n'était devenue qu'une guerre sans merci dans laquelle chacun avait essayé de contrôler l'autre. Par crainte de le perdre, par égoïsme, pour tout un tas de raisons. Alors j'avais fui, parce que je savais au fond de moi que la prochaine bataille serait impitoyable et définitivement destructrice.

Arte Corpus 1 - Tori et Noah (Sous contrat d'édition chez Plumes du Web)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant