Tu sais ?

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J'ai cette impression depuis tout petit, ce sentiment étrange, qui brûle mon cœur tellement fort, cette impression de flotter au dessus de mon corps, d'observer ce que je vis. Et je hais ce que je vois. C'est pour ça qu'il n'y a aucun miroir chez moi, je hais tellement mon apparence, mon corps, je hais tellement ces foutus chromosomes qui m'ont rendus ainsi.

Ils disent que c'est faux, que c'est la beauté intérieure qui compte mais nous savons parfaitement tous que ce n'est pas vrai, je ne suis pas celui qui fixe les règles ici, je suis celui qui m'y soumet. Et c'est tellement difficile, d'essayer de ressembler aux autres, de pleurer contre les draps pour étouffer mes geindres, de n'alerter personne, d'éviter mon reflet.

J'aimerais tellement avoir le droit d'arrêter de parler plus fort pour couvrir les hurlements dans mon crâne qui me rappellent ce que je suis, un moins que rien. Un espèce d'idiot qui n'arriverai pas à survivre une seconde de plus dans ce monde stupide s'il n'avait pas tout ce qu'il a. Des privilèges, qui chassent mes idées noires le temps de quelques secondes lorsque je veux en finir, lorsque je me dis que je n'y arriverai pas.

J'ai des cauchemars récurrents depuis un peu plus de deux ans et demi, des flashs de mon corps immonde, dénudés, et immergé dans une baignoire inconnue, mes yeux livides qui ne bougent plus, et mes poignets entaillés rougissent l'eau dans laquelle se déverse mon sang.
Chaque nuits, je me réveille en sursaut, la peau luisante comme un porc suant et ruisselant.

Ça a faillit s'arrêter un jour de septembre, quand sa chevelure de jais a, dans le vent, laissé danser ses mèches parfumées à la vanille. J'ai cru rêver, mais un rêve magnifique baignant dans le coton, pas un cauchemar ensanglanté. C'était rien qu'une jolie fille, c'était mon amarrage pour aujourd'hui et peut-être à jamais.

Peut-être que c'était elle qui devait me ramener dans le droit chemin, le chemin des vivants.
Je suis tombé amoureux, subitement, beaucoup trop vite, elle a occupé mon esprit, balayant les idées noires d'un mouvement de la main pour replacer une mèche sombre derrière son oreille.

Je n'ai pas réussi à l'approcher c'était au dessus de mes forces, j'attendais sans doute qu'elle fasse le premier pas, même si elle devait pas me connaître, et puis comment quelqu'un dans ce monde pourrait m'aimer alors que moi même je n'aime pas ce que je suis. Et puis elle est unique, exceptionnelle, alors que je ne suis qu'une pâle copie du monde qui m'entoure.

Et puis elle a trouvé un petit ami, aux cheveux blond gominés, à la gueule d'ange et la mâchoire toujours serrée. Elle a déposé chastement ses jolies lèvres contre les siennes, et il a sourit tellement fort que ça m'a détruit.

C'est pour ça que je suis ici... j'ai enfoncé un couteau de chasse dans mon poignet gauche à sept reprises, et j'ai plongé dans un bain d'eau gelée.
On m'a sauvé in extremis, les pompiers sont arrivés deux minutes cinquante, après que mon cœur se soit arrêté, les battements sont repartis plus forts et plus rapides.

J'ai été enfermé dans ce centre de prévention contre le suicide sans mon accord, depuis à peu près trois mois. Je ne sais pas si je vais mieux, mais ça n'empire pas.

- C'est très bien pour aujourd'hui, quelqu'un a un commentaire constructif à ajouter ? Demande la blonde distinctement à tout le groupe en serrant son carnet de note contre sa poitrine.

Silence général.

- La séance est levée, reprend elle en souriant exagérément.

JAZZ FUCK and WINEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant