Chapitre 2

8.5K 451 16
                                    

Maëva passe son temps à mettre la raclée à Léane au babyfoot tout en lui répétant qu'elle devrait cesser de laisser Clarence la dominer de la sorte. Léane est touchée par les mots et marque un but, mais alors que sa meilleure amie relance la balle, elle lâche les manettes. Elle met ses mains dans son dos et s'adosse contre le mur, les yeux rivés sur le sol.

― Qu'est-ce que tu fais ? lui demande Maëva.

Léane ne répond pas, absorbée par le lino qui semble danser sous ses yeux clairs. Elle entend Maëva soupirer, mais elle continue de mordre sa lèvre jusque la peau se déchire et que le sang éclate dans sa bouche. Elle n'aime pas ce goût métallique qui emplit sa langue, mais elle continue d'aspirer pour étancher la plaie en retenant une grimace. Elle sait que Maëva a raison et qu'elle devrait se détacher de l'emprise de Clarence, mais elle n'a aucune idée de comment faire. Lorsqu'elle n'est pas parcourue de son regard, elle se sent vide. Seuls ses yeux lui permettent de briller un tant soit peu, ce beau regard d'un bleu azur qui éclate comme du saphir au milieu de vieux débris. On ne peut pas s'empêcher de regarder. Du moins, Léane ne peut pas. Elle n'en a d'ailleurs pas envie. Serait-elle réellement plus heureuse si elle parvenait à se débarrasser de ce jeu à la con auquel personne n'a fixé la moindre règle ? Adossée contre le mur de plâtre, les mains usées à force d'avoir serré les doigts autour du jeu, elle en doute. Moins triste, peut-être. Mais moins heureuse aussi. Parce que, chaque fois que Clarence la regarde, chaque fois qu'elle lui envoie un message, chaque fois qu'elle parait d'humeur joviale, qu'elle sourit ou qu'elle parle, rit au loin, Léane ressent ce pincement à l'intérieur d'elle. De la joie. Même si elle ne rigole pas avec elle, elle peut profiter de ce son si pur, et rien ne la met plus de bonne humeur que d'entendre cela en pénétrant dans l'enceinte du lycée.

Bien sûr, sa meilleure amie a un rôle primordial dans son humeur : Maëva la fait rire comme personne, elles ont une complicité qui pourrait défier tous les films et séries télévisées. Sauf que Maëva n'est pas Clarence, et ne le sera jamais. Elle ne peut pas atteindre cette petite part de Léane qui ne s'offre pas à elle, cette petite partie que seul l'amour peut atteindre.

Maëva la fixe en attendant qu'elle sorte du flot de ses pensées. Elle comprend, bien sûr, qu'il est difficile de maîtriser ce qu'on ressent. Elle sait même combien ça peut coûter d'aller à leur inverse : elle avait failli perdre le garçon qu'elle aime à cause de ça. Heureusement, Léane lui avait remis les idées en place et les choses s'étaient arrangées. Maëva comprend, mais elle n'aime pas ça du tout. Elle n'aime pas que quelqu'un puisse avoir du pouvoir sur sa meilleure amie, elle n'aime pas ne pas être capable de protéger la seule chose qui peut se faire briser en un rien. Léane est fragile. Elle le sait, elle la connait, et même si celle-ci joue les dures, ce n'est qu'une façade. Sa fragilité ne l'empêche pas d'être indépendante et de ne jamais se faire marcher sur les pieds – elle n'hésite pas à faire face à ceux qui se dressent contre elle, elle n'a pas peur du conflit ni des dommages collatéraux. Elle fonce dans le tas, toujours. Ça l'empêche de réfléchir au fait qu'un mauvais impact au mauvais endroit la ferait éclater en mille morceaux.

*

Le repas se déroule dans une bonne ambiance : les tablées sont libres et les plats délicieux. Les élèves mangent en savourant leur repas, discutant tranquillement entre eux, échangeant des blagues et riant aux éclats. Alors que Maëva lui raconte quelque chose qui la fait sourire, elle se rend compte qu'elle est observée. Elle bouge à peine son regard et ses yeux gris se posent sur les saphirs de Clarence. Son visage est fermé et elle la dévisage, comme si elle lui reprochait le fait de passer un bon moment. Le sourire de Léane se fige et elle tourne les yeux vers son assiette. Maëva a remarqué son changement soudain de comportement, mais elle ne se pose pas plus de questions. De toute façon, il y a fort à parier que son amie lui prétexterait une fatigue ou une migraine – n'importe quoi pour clore la conversation.

Pour elle...Where stories live. Discover now