Chapitre 5

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Dans la chambre, Clarence a ouvert la fenêtre et un froid glacial tourne dans la pièce. Elle s'est hissée sur le rebord et regarde l'horizon, les bras posés sur ses genoux, le dos appuyé contre l'épaisseur du mur. Elle a l'air absent, la fraicheur ne la fait même pas trembler. Plongée dans sa contemplation du ciel infini, elle se perd à rêver de s'envoler loin d'ici, loin de tout.

Elle ne sait plus ce qu'elle ressent, elle ne comprend pas ce qu'elle attend, ce qu'elle espère, de qui et pourquoi. Elle n'est plus sûre de ce dont elle a besoin, ni de ce en quoi elle croit. Elle se sent perdue, ballottée comme une barque en plein milieu d'un océan déchaîné. Elle maintient tant bien que mal son équilibre, mais elle ne cesse de boire la tasse.

Léane est assise dans son lit, elle tient un carnet de croquis sur ses genoux, une gomme et un crayon entre ses doigts. Elle ne dessine pas, pourtant. Elle regarde Clarence qui reste insensible aux rafales de vent qui parviennent pourtant à faire trembler les feuilles de Léane et à aplatir le drap sur le côté du lit.

Elle ressent toujours ce pincement dans sa poitrine, et même si elle n'a rien dit, le fait que ce ne soit pas habituel l'inquiète.

Clarence ne parle pas, mais elle est là, et Léane essaye de s'en satisfaire. Elle ne se sent pas très bien mais tâche de ne rien montrer – il ne s'agirait pas d'apitoyer Clarence pour obtenir enfin un peu de son attention. Elle garde un souffle régulier, mais le rythme de son cœur est plus rapide qu'à l'ordinaire. Elle sait pourquoi : il commence à faire tard, ses médicaments pour le ralentir perdent leur effet, mais elle ne risque rien. Le cardiologue le lui a assuré.

Elle reste aussi sereine qu'elle le peut, prétendant que tout va bien, qu'elle ne sent pas les battements résonner de façon étrange dans sa cage thoracique. Elle s'acharne à essayer de se persuader que ce n'est rien, que tout va bien...

Sur les joues de Clarence, une larme orpheline a tracé son sillage. Elle est presque sèche à présent, mais c'est toujours autant le chaos en elle. Elle commence à avoir froid, mais ce n'est rien comparé au souffle glacé qui se déferlera sur son cœur lorsqu'elle retournera dans la chambre et fera face à Léane.

D'ailleurs, elle lui est reconnaissante pour ne pas tenter de lui parler, ni de comprendre pourquoi elle l'a embrassée cette nuit. Tout est si confus pour Clarence, et le ciel qui s'assombrie ne lui fournit pas même le contour d'une réponse...

La fenêtre pivote lentement et dans le reflet de la vitre, elle aperçoit Léane qui est tournée vers elle et qui la regarde. Instantanément, elle devient nerveuse. Son cœur trouve une résonnance étrange dans sa poitrine, et ses muscles se mettent à trembler. C'est comme si elle était assaillie par le stress – comme si devant elle se trouvait une scène immense qui lui filerait le trac. Mais il n'y a rien d'autre que Léane, assise sur son lit avec tous les ustensiles pour dessiner, mais qui s'obstine à la regarder. Clarence a envie de lui crier de la laisser respirer – en effet, elle se sent étouffer doucement, comme si sa gorge était prisonnière d'un étau qui se refermait lentement.

Figée sur le rebord de la fenêtre, elle laisse ses émotions prendre le dessus. Léane ne la voit pas, de toute manière. Elle laisse quelques larmes couler sans chercher à les essuyer : ce geste paraitrait suspect.

Elle regarde la ville en face et en-dessous d'elle, les lumières qui clignotent, les lampadaires qui grésillent, les voitures qui klaxonnent et font la file en bas des bâtiments. Mais rapidement, elle ne parvient plus à faire comme si Léane n'était pas là. Alors elle ferme les yeux, repose sa tête contre le mur, et, sans la regarder, elle se met à lui parler.

― Tu crois que les choses sont écrites à l'avance ?

Léane sursaute. Elle ne s'attendait pas à ce que Clarence lui adresse la parole, encore moins pour entamer une réelle discussion. Quelque chose doit la tracasser, mais Léane fait comme si elle n'avait pas relevé. Elle essaye de ne pas trop espérer que Clarence parle de façon indirecte d'elles, de ce qu'il s'est passé cette nuit, de ce jeu puéril depuis la rentrée.

Pour elle...Where stories live. Discover now