Chapitre 7

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La journée de visites ne se passe absolument pas bien pour Léane. Clarence a décidé de se rapprocher subitement d'un garçon blond aux lèvres rouges et yeux bleu pâle. Sa carrure athlétique est équivalente à son intelligence, et il a seize de moyenne en terminale S. Léane serre les dents : il est dans sa classe, s'appelle Lucas, et elle sait qu'il est célibataire et très charmeur. Remarque, il peut se le permettre.

Au détour d'un couloir où les œuvres de De Vinci sont étalées, Léane les voit en train de rire. Ce qui lui fait mal, c'est que Clarence n'a jamais ri avec elle. Elles se sont embrassées, engueulées, confiées, mais elles n'ont jamais plaisanté ensemble. Et ce qu'elle voit dans ce couloir la tétanise sur place. Elle le regarde avec cette étincelle dans le regard, et son sourire si parfait qui lui coupe le souffle. Son corps se met à trembler contre son gré, et elle ne prête plus aucune attention aux tableaux qui la passionnaient pourtant. Non, tout ce qu'elle voit à présent, c'est Clarence et ce connard de Lucas qui se balance d'avant en arrière dans son fou-rire sincère et charmeur. Elle entend de là sa voix grave qui fait vibrer toutes les filles du lycée. Pourquoi ce mec devait-il prendre italien en seconde langue ?

― J'y crois pas, Sacha qui me fait une crise de jalousie parce qu'on a mangé avec les garçons ce matin ! s'exclame Maëva.

Elle jette un regard à Léane qui semble nager en plein cauchemar et hausse un sourcil.

― Hé, tu m'écoutes ?

― Oui, bien sûr.

― Alors qu'est-ce que j'ai dit ?

― Je... Désolée, je t'ai pas écoutée.

― Qu'est-ce que t'as ?

― Rien du tout. Donc, tu disais ?

Maëva soupire mais lui raconte tout de même la crise de jalousie que son petit-ami l'a fait essuyer.

― Non mais tu te rends compte ? Pour un petit dej' !

― Oui, il abuse.

Il y a une autre fille avec elles : Laura, et elles se mettent à parler de problèmes de couple, ce qui achève de sortir Léane de la conversation. Maëva s'indigne toutes les trente secondes, prenant Léane pour témoin de telle ou telle dispute, et elle se contente d'hocher la tête sans pour autant faire attention à ce qu'elle peut bien raconter. Elle a autre chose en tête. Voir Clarence si proche de ce type lui enflamme le cœur et elle a le sang qui bat à ses tempes. Elle fait mine de regarder les tableaux mais ne saurait même pas dire de quelles couleurs ils sont. Elle ne sait plus si ils sont toujours dans le couloir dédié à De Vinci ou s'ils ont bifurqué dans un autre. Elle se contente de suivre le mouvement, sans plus s'attarder sur quoi que ce soit. Tout a un goût fade, toutes les couleurs et les motifs se ressemblent. Elle est déçue que la journée se passe ainsi, elle qui adore l'art, qui adore le dessin, la peinture, elle ne se sent pas plus à l'aise dans ce musée qu'un poisson dans une mare de pétrole.

A midi, ils s'arrêtent pour manger dans un fast-food, mais Léane touche à peine à son repas. Elle mâche le hamburger qui a un goût cartonné, elle boit sa boisson qui lui brûle la gorge d'un air absent. Maëva l'observe mais ne dit rien : elles déjeunent en compagnie de Laura, Loïc et Chris, et elle ne veut pas faire des histoires pour rien. Elle couve simplement sa meilleure amie du regard, lui faisant comprendre que si elle en ressent le besoin, elles peuvent s'éloigner pour discuter. Mais Léane n'en a pas besoin, elle se fiche pas mal de parler, au contraire. Si un traitre mot sort de sa bouche, elle est condamnée à se laisser envahir par la vague d'émotions. Se taire, c'est refouler tout ça. Se taire, c'est encaisser et elle a espoir qu'avec un petit peu de chances, elle parvienne à avancer. Clarence l'a bien fait, elle. Elle la retenait presque à genoux le matin même, mais elle n'a plus l'air d'en avoir quelque chose à carrer que Léane reste ou pas dans sa vie. Clarence a ce qu'elle veut, de toute façon. Pourquoi voudrait-elle Léane ? Pour me blesser, songe la terminale. Elle est persuadée que la première manigance tout ça depuis le début, et elle a bien envie d'aller se planter devant sa table, lui balancer son plateau-repas à la figure en beuglant qu'elle a réussi son coup. Mais Clarence le sait, Léane en est sûre. Clarence sait que personne ne peut lui résister, que devant elle, ils tombent tous comme des mouches. Elle les fait tous plier, ils finissent tous à genoux, qui qu'ils soient, quoi qu'ils aient traversé. Léane se demande comment elle peut encore trouver ça marrant. A sa place, elle aurait cessé de s'en amuser. Elle n'aimerait pas avoir ce charme, elle n'aimerait pas briser les gens sur son passage et simplement continuer de marcher. Elle ne pourrait jamais le supporter.

Pour elle...Where stories live. Discover now