Chapitre 3

1.4K 146 28
                                    

Je bafouille, le visage écarlate. Je sens encore ses doigts glisser sur ma joue, sa peau contre la mienne. Il est tout proche, si prêt que nos souffles se mêlent à chaque respiration. Presque contre mon gré, mes yeux glissent jusqu'à son sourire, jusqu'à ses dents blanches et tranchantes qui semblent n'attendre qu'un moment de faiblesse de ma part pour me dévorer. Je réussis à bégayer, la voix tremblante :

"P... Plaît-il ?"

Quelle idiote ! J'ai envie que le sol s'ouvre sous mes pieds et m'avale, tout plutôt que de me ridiculiser d'avantage devant lui. Malheureusement, le linoléum gris demeure stable et solide sous mes pieds et l'inconnu continue de me fixer en souriant. Il faut que je trouve une solution pour échapper à cette situation, quelque chose pour briser ce silence insupportable, n'importe quoi...

"Mes... Mes lunettes, s'il te plaît...

- "S'il te plaît" ? Te voilà bien timide d'un seul coup, Sorcière..."

Il y a comme de la surprise dans sa voix, mais je n'ose plus le regarde en face. Il doit sûrement me trouver pathétique, le visage en feu et les larmes au coin des yeux, incapable de répondre à ses insultes. Cette réalisation me donne la force de me redresser et de tendre la main, mettant toute l'autorité dont je suis capable dans ma voix.

"Rends-les moi.

- Voilà qui te ressemble un peu plus..."

Il me rend mon bien avec un rire léger qui hérisse ma peau de chair de poule. Nos mains s'effleurent, j'ai presque l'intention qu'il s'attarde, qu'il prolonge le contact plus que nécessaire. J'essuie mes verres et je remets mes lunettes à leur place sur mon nez. Je me sens plus sûre de moi avec elles...

"Cette couleur... C'est différent." Il attrape une mèche de mes cheveux et les porte à ses lèvres, y déposant un baiser moqueur. "Mais l'ébène te va tout aussi bien que l'or."

Je n'ai pas le temps de répondre car monsieur Lauvet, mon prof de maths, pousse la porte de la salle de classe et m'interrompt. Il nous regarde tous les trois avec un air étonné, clignant des yeux plusieurs fois sans rien dire. Finalement il semble reprendre ses esprits :

"Vous êtes en avance..."

Son expression hurle qu'il n'a pas l'habitude que les élèves se précipitent pour suivre son cours. Il pose son cartable sur son bureau et sourit au garçon aux cheveux blancs:

"C'est toi Alban, n'est-ce pas ? On m'a prévenu de ton arrivée. C'est assez inhabituel un transfert à cette époque de l'année, mais je suis sûr que tout va bien se passer. Je veillerais à ce que tu puisses ratrapper les cours que tu as manqué, et je vois que tu as déjà commencé à faire connaissance avec tes camarades !"

Katia ouvre la bouche mais il continue sans la remarquer :

"Prenez vos places, mesdemoiselles. Alban, j'ai ici une feuille à te faire remplir concernant tes choix d'orientation et tes projets d'avenir."

Alban, puisque c'était son nom, s'éloigne de moi presque à regret. Il me glisse au creux de l'oreille "nous continuerons cette petite discussion plus tard... seuls." et rejoint le bureau du professeur. Je me laisse tomber sur ma chaise, mon coeur bat la chamade. Katia prend sa place à mes côtés et se penche vers moi, le visage plissé par l'inquiétude:

"Ça va ? Il ne t'a rien fait ?

- Non...

- Quel salaud ! S'il continue de t'insulter comme ça, j'irais directement voir le proviseur !

- Ça va, Katia, c'est pas grave...

- Bien sûr que si !"

La porte qui s'ouvre interrompt ses murmures furieux alors que le reste de la classe nous rejoint. Elle me jette un regard appuyé qui laisse à entendre que cette conversation-là n'est pas finie, elle non plus. Je me sens un peu coupable de me sentir aussi soulagée mais je ne sais pas moi-même ce que je pense d'Alban pour le moment. J'ai besoin d'y réfléchir au calme et Katia risque de mal prendre mon indécision. Le cours de maths me donne un peu de répit, c'est déjà ça.

Les autres élèves ont remarqué Alban, je peux déjà entendre les murmures surexcités du groupe de Céline. Elle glousse comme une pintade, ses cheveux blond platine ramenés en un chignon trop serré qui lui donne des airs d'oeuf de Pâques. Céline, Katia et moi, on allait dans la même école maternelle, autant dire qu'on se connaît depuis toujours... Et autant dire qu'on ne s'apprécie pas. Céline a toujours été un peu peste, et ça ne s'est pas amélioré avec les années. Aujourd'hui elle porte un t-shirt blanc avec écrit #PRINCESS sur les seins, un cache-coeur rose, un jean délavé et des baskets blanches. C'est le genre de filles vulgaires qui s'épilent les sourcils et les redessinent toujours trop hauts et trop fins, comme si elle utilisait un feutre. Le genre de filles qui décident en primaire de faire de ta vie un enfer et qui continuent, des années plus tard.

Elle doit sentir mon regard parce qu'elle se retourne vers moi et plisse ses lèvres avec mépris comme si j'étais un vieux chewing-gum collé par terre. Je baisse la tête sous les gloussements de ses amis, essayant de faire corps avec mon bureau et de devenir invisible.

"Un peu de calme, s'il vous plaît." Monsieur Lauvet est en train de se pincer l'arête du nez avec l'expression de quelqu'un qui sent une migraine arriver. "Comme vous l'avez remarqué, nous accueillons aujourd'hui parmi nous un nouvel élève. Est-ce que tu veux te présenter rapidement, Alban ?"

Il hoche la tête et offre à la classe un demi-sourire amusé, presque arrogant. Il a l'air parfaitement à l'aise face à tous ces étrangers, comme s'il n'y avait rien de plus naturel pour lui, comme s'il était né sous les feux des projecteurs. J'admire son assurance, la simple idée de passer au tableau me donne des sueurs froides.

"Mon nom est Alban Hunt, enchanté de faire votre connaissance à tous."

Ses yeux glissent sur moi, s'attardant juste un instant, avant de se focaliser à nouveau sur le reste de la classe. Sa voix me fait frissonner, il a comme un très léger accent que je n'avais pas remarqué avant, mais je n'arrive pas à identifier de quel pays il peut bien venir... Ça ne ressemble à aucun accent que je connais.

"Je ne reste que rarement longtemps au même endroit et ne puis donc vous promettre que nous terminerons cette année scolaire ensemble... Mais j'espère que cela sera le cas."

Il ponctue sa dernière phrase par un nouveau coup d'oeil en ma direction, ses yeux argentés scintillant de cet éclat bleuté que j'ai remarqué un peu plus tôt. Monsieur Lauvet pose sa main sur son épaule avec un sourire cordial.

"Très bien, Alban, j'espère aussi que cela sera le cas et que nous saurons te faire bon accueil. Tu peux aller t'ass...

- J'espère ne pas être impoli en vous interrompant, monsieur, mais j'ai une faveur à vous demander. Voyez vous, je ne connais pas les usages de ce pays, ni la configuration de ce lycée. Serait-il possible qu'un élève m'assiste, le temps que je m'acclimate ?

- C'est une excellent idée. Dans ce cas, puisque vous avez déjà fait connaissance, pourquoi pas Am..."

Il n'a pas le temps de terminer sa phrase. Céline s'est redressée avec un grincement de chaise et tend la main haut en l'air, ses yeux jettant des éclairs.

"Oui, Céline ?

- Puisque je suis la déléguée de classe, je me porte volontaire !"

l'Étreinte des TénèbresWhere stories live. Discover now