Chapitre 7

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Non ! Je refuse de mourir ainsi, loin de ma famille, loin de mes amis, sans avoir revu la lumière du jour une dernière fois ! Je m'arc-boute contre mon assaillant, griffant, crachant, feulant. Si je dois tomber, alors ça ne sera pas sans me battre.

Une main gantée de cuir se pose sur mes lèvres, sans appuyer. Presque avec délicatesse.

"Vous allez nous faire repérer." murmure une voix d'homme à mon oreille.

Son ton est doux, sans tension ni colère. Comme si nous étions en train de discuter de la pluie et du beau temps sur la terrasse d'un café plutôt que terrés dans une pièce humide avec un monstre qui rôde juste à côté. Il se dégage de lui une odeur végétale, fraîche et épicée à la fois, comme celle des aiguilles de pin sous la pluie.

"Des choses terribles rôdent en ces lieux, mademoiselle... Il vaut mieux que nous nous fassions discrets, hm ?"

Je hoche la tête et il me relâche. J'ai vraiment l'impression qu'il n'est pas tout à fait sain d'esprit... Je frotte mon poignet endolori, mes yeux s'habituant peu à peu à la pénombre. La pièce est petite, la lumière filtrant à peine à travers les fenêtres barricadées de planches, le sol en terre battue. Les lambeaux de rideaux accrochés aux fenêtres ont moisi, l'odeur de champignons est presque étouffante. Dans un coin git ce qui semble avoir été un lit autre fois.

Un grincement brutal me fait sursauter. Le bruit de griffes qui passent sur le bois, qui arrachent échardes et éclats sur leur passage... Il m'a suivit. Pas d'autre issue que la porte d'entrée... C'est la seule chose qui me protège de la bête, et elle ne tiendra pas longtemps.

Je suis coincée dans un monde inconnu, en train de me cacher d'un monstre dans une pièce exiguë en compagnie d'un type qui m'a l'air mentalement instable. Je ne sais pas si j'ai envie de pleurer ou de rire.

L'homme aux gants de cuir est en train de frotter ses doigts contre la porte en murmurant entre ses dents. Je cherche frénétiquement du regard quelque chose qui pourrait me servir d'arme. Mon pied bute contre une grosse pierre, je la ramasse et fourre dans ma sacoche pour la lester. Je ne suis pas certaine de réussir à m'en servir de façon efficace mais c'est mieux d'avoir une massue de fortune que d'être les mains vides.

"Bon," soupire mon sauveur en s'époussetant les mains, "ça devrait faire l'affaire."

Il claque de doigts et des arabesques de lumière bleue se dessinent sur la surface de bois vermoulu, avant de s'étendre peu à peu sur les murs comme des branches de lierre. Peu à peu, la pièce toute entière est veinée de bleu. Comparé à la quasi obscurité de tout à l'heure, je suis presque aveuglée par la luminosité brutale.

"Qu'est... qu'est-ce que c'est que ça ?"

Je n'arrive pas à cacher la tension dans ma voix alors que j'essaie de garder mes pieds sur les zones sombres du sol, sans toucher les arabesques. Il lève un sourcil interrogateur avant qu'une expression de compréhension ne le remplace.

"Oh pardonnez-moi, j'oublie à quel point vous êtes jeune cette fois-ci. Ceci est un bouclier, un simple sort pour nous protéger le temps que votre admirateur ne se lasse. C'est parfaitement inoffensif pour nous, vous n'avez pas à vous inquiéter."

Je cligne des yeux. Un sort ? J'imagine qu'après être passé dans une autre dimension, la découverte de l'existence de la magie ne devrait pas être un choc mais non. Il me faut quand même quelques secondes pour digérer l'information. Je devrais probablement protester, ou demander plus d'informations, mais je veux juste rentrer chez moi. Ça sonne peut-être pathétique, mais peu importe.

Je me pince à nouveau, plus par acquis de conscience qu'autre chose. Qu'est-ce qu'il raconte sur mon âge ? Maintenant que je le vois sous un meilleur éclairage, il est évident qu'il n'est pas bien plus âgé que moi. Un ou deux ans de plus, grand maximum. Ses longs cheveux noirs ramenés en un catogan contraste avec sa peau d'une blancheur de lait. Ses lèvres semblent presque rouges, généreuses et sensuelles. Et ses yeux semblent des puits sans fond, d'une noirceur insondable. Je déglutis, cherchant un peu d'aplomb au fond de moi pour lui répondre sans m'effondrer en un petit tas de gelée paniquée.

"Jeune ? Vous êtes sensé avoir quel âge ?"

Il sourit simplement, montrant l'espace d'une seconde des dents d'une blancheur terrible. Ma peau se hérisse de chair de poule malgré moi. C'est une sensation différente de celle que j'ai ressenti quand j'ai vu Alban pour la première fois. Alban m'a laissée tétanisée, écrasée par sa présence, rougissante et bégayante face à sa nonchalance royale et l'élégance féline de ses gestes... Lui me fait me sentir tendue, sur mes gardes, l'esprit clair et le sang vif.

"Excusez-moi, Sorcière, j'en oublie mes manières. Mon nom est Erebus Whitemore, enchanté de vous rencontrer pour la première fois à nouveau."

Il place un bras dans son dos et s'incline profondément. Je secoue la tête, reculant d'un pas.

"Pour la première fois à nouveau ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Et qu'est-ce que vous avez tous à me traiter de sorcière ? Mon nom est AMBRE !"

J'entends bien que ma voix est en train de se briser, qu'il est évident que je suis sur le point de céder à l'émotion et de me mettre enfin à pleurer pour de vrai, mais je n'en ai plus rien à faire. Je suis épuisée, je n'ai pas eu une vraie nuit de sommeil depuis des semaines, je suis loin de chez moi et j'ai de plus en plus l'impression de vivre un canular. Erebus lève ses mains gantées en un signe de paix.

"Je vous assure que je n'avais nullement l'intention de vous insulter, je n'ai fait que... Oh. Oh ! Vous ne vous souvenez pas. C'est donc cela...

- Me souvenir de QUOI ?

- Et il ne vous a rien dit ?

- QUI ? Arrêtez de parler en énigme !"

Ses lèvres s'étirent en un large sourire. Il ne s'approche pas de moi, respectant la distance de sécurité que j'ai placé entre nous, ses mains bien en vue. Sa voix devient encore plus douce, légère comme une brise, comme si j'étais un animal blessé qu'il essayait de rassurer.

"Pardonnez-moi, je vous dois en effet des explications, mais l'Heure Floue arrive bientôt à sa fin et le temps va nous manquer.

- L'Heure Floue ?

- C'est un moment d'entre-deux, le moment où ombres et lumières s'unissent, où chiens et loups se confondent, où la frontière entre le monde matériel et le monde magique s'amenuise. Nous nous trouvons actuellement dans la Ville Blême, un monde suspendu entre réalité et rêve, passé et futur. Et il nous faut regagner la sortie au plus vite. Je vous promets sur mon honneur que vous aurez vos réponses ensuite.

- Et ce... cette chose dehors ?

- Oh, ça ? Il s'agit un loup-garou." Il pose son doigt sur son menton, l'air amusé. "Mais rien dont vous n'ayez à vous soucier pour le moment."

Il ouvre ses bras et se tourne vers un public imaginaire... Du moins je l'espère. Si j'apprends que les fantômes aussi existent, je crois que je vais m'évanouir. Il fait une révérence à droite, une à gauche, soulevant un haut de forme imaginaire d'un geste alambiqué.

"Mesdames, Messieurs et Non Binaires... Laissez-moi vous présenter un tour de passe-passe incroyable, inouïe ! Un spectacle tel que vous n'en avez jamais vu ! Je vous demande une ovation pour ma très charmante assistante... Dame Ambre !"

Il me tend la main, ses yeux noirs plongeant dans les miens. Je m'avance, incapable de résister à son charme et de refuser de rentrer dans son jeu. Je pose ma mien dans la sienne, il l'effleure de ses lèvres, à peine un souffle, et me fait un clin d'oeil.

"Et maintenant, Mesdames, Messieurs et Non-Binaires, ouvrez grands les yeux car voici venu le moment que vous attendez tous ! Sous vos regards ébahis, Dame Ambre... va disparaître !"

Son ton est presque menaçant, mais son regard pétille d'amusement.

"Dame Ambre, je vous prierais de fermer les yeux et de compter à voix haute jusqu'à trois."

Je déglutis. Il ne m'a jamais menacée, mais ça ne veut pas dire qu'il est inoffensif... Tout ceci pourrait n'être qu'un piège, une façon de me faire baisser ma garde pour que je sois vulnérable, à sa merci. Mon regard se perd dans la pièce vide aux fenêtres barricadées. Ai-je vraiment une autre solution ?

Je ferme les yeux.

"Un... Deux..."

l'Étreinte des TénèbresWhere stories live. Discover now