Partie 1

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Les magasins rivalisent de créativité pour les décorations de Noël cette année. Je suis émerveillée devant ces illuminations sorties de l'imagination débordante des décorateurs. Je traîne un peu des pieds dans ces allées noires de monde, profitant de mon après midi de repos pour faire mes emplettes que je déposerai au pied du sapin cette année.

Je m'attarde devant la vitrine d'un magasin de vêtements quand j'entends, au loin, comme des bruits de pétard. Je n'y prête pas plus attention, la musique diffusée dans les hauts parleurs du centre commercial atténue ces étranges sons. Je reprends ma promenade et m'arrête. Devant moi, un véritable mouvement de foule fonce dans ma direction. Des hurlements se font entendre, et toujours ces bruits de pétards. Les gens courent dans tous les sens, trébuchent, crient, cherchant à fuir le plus loin possible ce que je ne distingue pas encore.

Je suis bousculée, plaquée contre la vitrine d'une bijouterie. Je ne comprends pas. Le sol est jonché de papiers, de sacs, de corps blessés gémissants. Je ne bouge pas, figée par ce que je vois à quelques centaines de mètres devant moi. J'ai compris. Ils sont deux, ils paraissent si jeunes. On dirait des enfants. Ils portent de lourdes armes sur eux, en bandoulière, n'hésitant pas à tirer sur ceux qui auraient le malheur de bouger ne serait ce que d'un millimètre. Je pourrais glisser doucement sur le sol, et me mettre à l'abri. Je pourrais oui mais je ne peux pas. Mes membres sont paralysés par la peur. Mon portable. Dans ma poche. Le trouver. Appeler les secours. Je ne peux pas bouger. Je ne les vois plus. Ils ont bifurqués dans une allée, j'entends les tirs de leurs armes, encore. J'en profite pour regarder autour de moi, c'est un véritable chaos. Une poussette renversée. Des corps immobiles. Je refuse de voir le reste.

 Je me laisse glisser le long de cette vitrine, cherchant désespérément un endroit où me cacher. Je rampe sans bruit sur le sol, et me retrouve derrière un énorme pilier. Juste à mes côtés un homme, couvert de sang. Je sens la bile remonter dans ma gorge, je vais vomir. Je détourne le regard et essaye de réfléchir. Non je ne peux pas réfléchir, pas maintenant. Je n'ai pas le temps. J'attrape mon portable dans ma poche, m'y reprends à plusieurs fois pour dévérouiller l'écran. Mes mains sont moites, j'ai peur. Je compose le 112. Je suis aussitôt basculée sur un central de police.

"Vous avez demandé la police, ne quittez pas". Putain, fait chier. Je jure tout bas, c'est pas le moment de mettre leur répondeur de merde. J'ai besoin d'aide maintenant.

"Police j'écoute"

"Il faut venir au centre commercial tout de suite"

"Je ne vous entends pas, parlez plus fort"

"Je ne peux pas parler plus fort. Venez vite, il y a eu une fusillade, il y a des morts et beaucoup de blessés"

"Vous êtes ou?"

"Centre commercial de la Croix, je suis entrée A. deux hommes armés de mitraillettes"

"Essayez de vous mettre à l'abri, des équipes sont déjà sur place. Ne bougez pas d'où vous êtes"

"Dites, vous voulez bien me rendre un service"

"Lequel mademoiselle?"

"Si jamais je ne sors pas vivante, vous pourrez dire à ma famille que je les aime"

"Restez cachée mademoiselle, ne bougez pas"

"Allo? Allo?"

Putain ma batterie. Décidément aujourd'hui, c'est vraiment une journée de merde à tous points de vue. Je ramène mes genoux sous mon menton et attends. Je tremble comme une feuille, mes dents claquent tellement qu'on doit les entendre résonner à l'autre bout du centre commercial. Je ne sais pas combien de temps je reste assise. Des minutes ? Des heures? je ne sais pas, je ne sais plus. Je suis dans une sorte de semi-conscience, mon esprit s'est mis en état hypnotique. 

Je crois entendre une voix, celle d'un homme. Ils m'ont trouvé.Je vais mourir. A quelques jours de Noël. Quelqu'un s'agenouille devant moi. Une silhouette entièrement vêtue de noir, une cagoule masquant son visage, sauf ses yeux. Je le vois sans le voir. 

"Mademoiselle?"

Je ne réponds pas. Fait la morte. 

"Mademoiselle, je suis policier"

Policier? Non il ment. Je regarde discrètement et aperçoit un insigne. BRI. Non c'est un faux. Ne bouge pas.

"Vous avez appelé le central avec votre portable."

Oui. C'est moi. Mais je répondrai pas. Ils doivent avoir des informateurs partout. Des caméras, des micros, des trucs quoi.

"Est ce que vous êtes blessée?"

Non je ne le suis pas physiquement, mais intérieurement oui.

"Mademoiselle, je vais vous sortir de là, je vais vous porter"

Je bouge mes pieds. Vivants. Je bouge mes doigts. Vivants. Je suis en vie. Une main gantée se pose délicatement sur mon bras. Je la sens. Une agréable chaleur se diffuse dans mon corps. Je vis. Je me sens soulevée du sol par des bras puissants.

"Fermez vos yeux. Ne regardez pas" me dit cet homme

Je pose ma tête contre son torse, et met mes mains devant les yeux. Des larmes coulent, mouillent mes mains. Je pleure en silence. Je ne veux pas quitter les bras de cet homme. Je m'y sens en sécurité. Pourtant il me pose. Je retire mes mains. Ouvre mes yeux. Je suis sur la civière d'une ambulance des pompiers. Avant de partir, ce policier pose sa main derrière ma tête et embrasse mon front. Geste qu'il ne fait peut être probablement jamais.

"Vous êtes vivante" et il s'en va. Rejoindre d'autres hommes vêtus de noir comme lui.

Je me laisse examiner. Je n'arrive pas à parler. Je demande un papier, un crayon. J'inscris mon nom et le numéro de mes parents. C'est tout ce que je peux faire. C'est tout ce que je peux leur dire. On m'invite à m'allonger sur la civière. Je ne veux pas. Je veux rester assise.Je ne veux pas dormir et avoir peur dans mon sommeil. Je ne veux pas revoir tout ça. Je saisi la main du pompier près de moi, et la serre. Mes larmes recommencent à couler. Il comprend et ne parle pas. Il est là par sa présence et j'apprécie. Je n'ai pas besoin qu'on me parle, je ne veux rien entendre. Je veux juste du silence. Je veux juste revenir avant. Quand tout allait bien. Quand j'étais heureuse. Quand je vivais. Aujourd'hui, je suis morte. A l'intérieur.

Loin de moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant