20(final)- A la guerre

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— Pourquoi le lui avoir dit ?!

Lisa tiqua devant la désapprobation d'Orchys. Elle s'étonna de réaliser que l'entité qui hantait le pendentif de Jawaad puisse se mettre en colère. Son premier réflexe, qu'elle détesta constater, fut de baisser les yeux en détournant la tête, coupable :

— Pa... parce que rien n'est plus précieux pour... pour lui. Parce qu'il aurait su que je cachais un secret... et qu'il m'aurait forcé à... à le lui raconter.

— Mais c'était TON secret ! Ta liberté ! Pourquoi le sacrifier ?!

Lisa garda le silence un long moment, partagée entre ses instincts de soumission et sa propre révolte. Elle faillit renoncer à parler, lutter, tenter de s'expliquer. Qu'est-ce que cela pourrait changer, finalement ? Orchys n'existait pas, elle n'était qu'un fantôme hors du temps, si éloignée du monde de Loss tel que la terrienne le connaissait qu'elle ne pouvait le saisir. Lisa ne s'adressait qu'à un spectre, quel qu'il soit et restait seule face à ce monde qu'elle craignait tant.

Pourtant, cela ne suffisait pas. Elle manqua de s'avouer vaincue et rester timorée, mais, finalement, elle éclata brutalement :

— Je devais lui dire pour comprendre ! Et vous ne pouvez pas m'aider à ça ! Vous n'êtes qu'un fantôme du passé ; rien de ce que je vis, vous n'en avez connu ! Vous m'avez dit que vous étiez une cheffe de guerre, vénérée comme descendante d'Athéna, marchant comme tous les Chanteurs de Loss dans votre monde tel des dieux sur Terre ! Mais il n'y a plus ni dieux ni Chanteurs de Loss ! Dans le monde où je vis, les rares qui ne sont pas morts sont craints et tous asservis ! Nous sommes devenus des démons ! Tout ce que vous avez été a été réduit à néant ! Par votre faute !

Orchys encaissa le coup tel un uppercut de plein fouet. Au-delà des mots de sa protégée, il y avait le flot des informations qu'elle transmettait à travers le complexe lien mémoriel que l'astrolabe nouait entre leurs deux esprits. Elle reprit pourtant, le ton plus bas ; c'était à son tour de sentir la culpabilité faire son œuvre :

— Nous ne savions pas ce que nous allions provoquer. Je ne le savais pas. J'ai inventé et transmis à mes disciples ce que tu appelles le Chant des Abymes pour mettre fin à trente ans de sièges, de batailles vaines, de famines et de massacre. Pour mettre à jamais un terme à la guerre.

— Aucune arme absolue n'a jamais arrêté la guerre !

Orchys fut brutalement ébranlée par les visions, difficiles à saisir, des champignons atomiques et des dévastations des armes nucléaires de la Terre, suivie des ravages sur les hommes et les villes, condamnant les survivants à l'agonie. La similitude avec son propre pouvoir et l'épouvantable destruction qu'il avait causée la firent frissonner d'horreur. Elle reprit, encore plus bas, manquant à son tour de détourner les yeux devant la jeune femme :

— Tu me rends coupable de la manière dont l'Histoire de Loss a fait de toi une esclave. Comment pourrais-je te le reprocher. Me pardonneras-tu ma faute, si je te dis que j'en ai conscience, bien au-delà de ce que tu imagines ? J'agissais pour les miens ; j'ai grandi dans une guerre sans fin où notre pouvoir était l'arme ultime de tous les camps et moi la plus puissante de toutes. Je voulais mettre fin à ce cauchemar. J'en ai créé un autre. Mais je voudrais te révéler mon intime motivation...

Orchys tendit la main vers la joue de sa protégée. Dans ses yeux, comme dans ceux de Lisa, brillaient des larmes. Elle fit glisser sa main sous le menton de la jeune terrienne, pour la fixer dans un silence intime, qu'elle brisa dans un chuchotement :

— Je suis morte depuis bien longtemps et je n'ai de ma mort que le récit que tu portes dans ta mémoire. Mais je voulais mettre fin à cette guerre pour parvenir à trouver réponse au mystère qui me hantait et que j'ai tenté de percer en explorant les secrets de mon astrolabe. Jawaad, mon descendant, a raison : c'est une machine, créée par des êtres qui ont précédé notre arrivée sur Loss. Eux aussi, j'en suis convaincue, vinrent des Étoiles comme d'autres encore avant. Qui nous a menés sur ce monde, Lisa ? Qui y a placé nos prédécesseurs ? Pourquoi ont-ils disparu ? Il y a quelque chose, une entité qui a fait ces choix dont nous sommes issus ; dont tu es issue, toi qui as été arrachée à ton monde pour finir dans le nôtre, comme tant d'autres. Cela arrivait déjà à mon époque et tu m'as appris que ça n'a jamais cessé.

Les Chants de Loss, Livre 2 : MélisarenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant