3- La Tempête

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Le ciel s'assombrissait à l'horizon. Damas avait été le premier à le voir, mais le barreur avait rapidement ressenti la tension qui commençait à se saisir de la Callianis, aux premiers vents de travers, tandis que la houle prenait de l'ampleur. Damas pesta. Il fallait s'y attendre : on évitait de naviguer pendant la saison des pluies, justement pour le risque de ce genre de grains. Il lança ses ordres sur le pont :

— Réduisez les voiles !

Le navigateur tenait la barre sans trop de mal encore, mais il était devenu plus vigilant, un œil sur les flots, l'autre sur l'anémomètre :

— On va y avoir droit, là, même en contournant les nuages. J'en vois pas trop la fin.

— Prends quinze degrés tribord. Si on peut esquiver cette masse, ce ne sera pas plus mal. À condition qu'elle ne nous suive pas.

— Puisse les dieux t'entendre, Damas.

Le Jemmaï ne répondit pas, le regard sur la mer. Il ne croyait pas dans les dieux, lui, mais dans l'homme. Et sans dieux sur qui compter, ni de cieux et de firmament étoilé à qui adresser des prières, l'homme allait être mis à l'épreuve, si l'énorme masse sombre qui commençait à manger avidement le ciel rougeoyant du crépuscule rattrapait la Callianis.

***

Lisa avait réussi à servir le thé sans impairs ; ou tout du moins sans autre maladresse que sa peur maladive, ce que Jawaad ne releva pas, c'eut été inutile et elle aurait pu renverser sa tasse, ce qui, là, l'aurait contrarié. Le navire se balançait un peu plus durement sur la houle qui grossissait de minute en minute et même Azur avait trahi assez vite un peu d'inquiétude. Elle n'aimait pas la mer et si elle s'était accoutumée à voyager ainsi avec son maitre, dès que le temps devenait capricieux, elle perdait vite de son calme. Les nomades ar'hantia des plaines d'Allenys ne sont pas connus pour avoir le pied marin et la jeune femme ne dérogeait pas à la règle. Elle commençait déjà à avoir un peu de nausée et réalisa vite que c'était la même chose pour la jeune terrienne.

Lisa n'avait pas plus voyagé en bateau de sa vie qu'elle n'était montée sur un cheval. La Callianis tanguait au grès des vagues et il était très difficile de s'habituer à ce mouvement quand on n'y était pas acclimaté. Les va-et-vient du navire ballotté lui retournaient l'estomac et commençaient à la rendre malade.

Jawaad claqua des doigts et désigna à la jeune terrienne une bassine métallique dans un coin du bureau. Il n'était guère surpris que sa nouvelle acquisition soit sujette au mal de mer, le contraire l'eût même étonné. Et quand elle se saisit de l'ustensile, il claqua à nouveau des doigts et montra ses pieds où était déjà installé Azur, la tête sur sa cuisse, déglutissant un peu, nauséeuse et pâle. Une fois la jeune femme à ses pieds elle aussi, Jawaad retourna aux documents qu'il rédigeait commentant avec une apparente indifférence :

— Tu t'y feras.

Lisa répondit par un hoquet. Elle avait un teint déjà blafard et la situation ne s'arrangeait pas. Jawaad se pencha sur elle, attrapa le côté de sa tête d'une main et la plaqua contre sa jambe d'autorité :

— Inspire par le nez, respire fort. Et ne retiens rien si tu dois vomir.

Il ne fallut pas bien longtemps pour qu'arrive l'inévitable. La nuit commençait à tomber, mais Jawaad eut juste le temps d'allumer la lampe au loss de son bureau, que Lisa se penchait sur la bassine prise de crampes et vomissait brutalement. De l'autre côté du marchand, Azur, qui jusque là n'avait que quelques nausées, eu à son tour un redoutable haut-le-cœur au spectacle désolant.

Jawaad plissa les narines brièvement, mais n'en fut pas autrement perturbé. Il avait faire assez de mer dans sa longue vie pour avoir cessé de compter les fois où il avait vu tout un pont couvert des vomissures de marins découvrant les affres du mal de mer. Il délaissa ses notes et après un regard sur Azur et une caresse brève à sa joue, pour lui permettre de s'éloigner un peu et échapper à l'odeur de bile, il attrapa sa tasse de thé qu'il n'avait pas fini et la glissa sous le nez de Lisa, qui redressait piteusement la tête, l'estomac torturé :

Les Chants de Loss, Livre 2 : MélisarenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant