19- Zaherd

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Quatre jours avaient passés et Lisa cessait de compter chacun d'entre eux comme un poids. Elle ouvrit les yeux, le nez contre le drap de til léger du lit de Jawaad, avec une masse pesant sur ses reins. Le temps d'émerger des brumes qui séparaient désormais chaque matin le monde onirique de ses discussions avec Orchys de la palpable réalité de l'éveil, elle constata qu'Azur était affalée tête, épaules et bras en vrac contre son dos. Ce qui lui valut de se rappeler les circonstances qui avaient conclu la soirée et s'étaient prolongées tard dans la nuit et d'en piquer un immédiat fard, quand elle ressentit à son ventre l'évocation émouvante et érotique d'étreintes échevelées.

Elle avait, dans les bras de Jawaad, découvert une autre facette de sa consœur : Azur était depuis longtemps débarrassée de quelques freins moraux que ce soit concernant la sexualité, déjà que, Lisa l'avait appris, les Lossyans en général en avaient finalement assez peu. C'est avec passion et nombre de rires qu'elle avait joué avec Lisa, d'une liste de délices que cette dernière préféra éviter de dénombrer, histoire de conserver un peu de sérénité pour la journée.

Jawaad avait de toute évidence quitté la cabine en catimini. Ce qui aurait été impensable quelques semaines plus devenait maintenant coutumier : Lisa, désormais plus sereine, cessait de se réveiller au moindre bruit ou mouvement nocturne. Tout du moins quand elle dormait près de son maitre. Elle eut une question en tête, finalement complexe : était-ce les conséquences des longs échanges avec Orchys dans cette sorte de bulle hors du temps, l'influence du Languori sur ses sens et ses émotions... ou les sentiments qu'elle pouvait avoir, où dominait cette impression d'être en sécurité près de Jawaad ? Elle réalisa que la réponse était impossible à déterminer, tandis qu'elle s'extirpait lentement de l'étreinte d'Azur, qui gémit un peu de protestation à perdre son oreiller vivant. Il pouvait tout aussi bien s'agir d'amour, que du conditionnement que Sonia lui avait infligé ou encore, plus simplement, la réaction d'une profonde contagion émotionnelle envers celui qui était son propriétaire et protecteur à la fois, dans un monde qu'elle qualifiait toujours de cruel et dangereux. Orchys avait son point de vue, hostile au maitre de Lisa et peu flatteur sur le sentiment vécu par sa protégée, mais qui ne parvenait pas à convaincre la terrienne, troublée par la complexité ce qu'elle ressentait envers Jawaad. Mais depuis ces deniers jours, malgré de fréquents retours de ce sujet avec son mentor virtuel, elle cessait d'être hantée ou effrayée par cette question ; elle la vivait enfin sereinement. Tout du moins cela y ressemblait. Et quand elle pensait à Elena, sa sœur, c'était désormais sans larmes, mais avec l'espoir concret de pouvoir la retrouver, tôt ou tard. Un espoir que, là aussi, Orchys entretenait, l'employant comme levier pour pousser Lisa à en assimiler le plus possible sur le Chant de Loss.

Azur dormait toujours et, au vu de la lumière se faufilant par les hublots de la cabine, le jour ne devait être levé depuis bien longtemps. Lisa enfila ses vêtements en silence. Dehors, elle pouvait entendre les éclats de voix des marins et le bruissement constant de la vie des réfugiés sur les quais. Elle avait cru ne pas pouvoir expérimenter ce qu'Orchys lui apprenait sur le Chant, mais la solution s'était présentée d'elle-même par l'initiative de Jawaad. Ces derniers jours, de manière très régulière, il l'avait testé, lui demandant de tenter des prouesses qui, des plus simples, se compliquaient un peu plus chaque jour, lui apprenant, avec sa manière rude, directe et autoritaire, à se concentrer pour y parvenir. Il avait caché son étonnement à constater à quel point Lisa pouvait maitriser avec aisance toutes les facettes du Chant ; mais la terrienne n'avait pas été dupe de son apparente indifférence : il se posait des questions. Fallait-il lui expliquer comment elle en avait appris autant ? C'était son secret, son univers intime, sa petite liberté, ô combien précieuse, que cette relation étrange avec l'avatar onirique de cette ancienne légende de Loss vivant comme une sorte de fantôme ou d'entité virtuelle, dans le médaillon de loss-cristal du maitre-marchand.

Les Chants de Loss, Livre 2 : MélisarenWhere stories live. Discover now