18- Le regard

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Elle le fixait, exempte de la moindre once de peur, sans détourner le regard. Elle paraissait statuaire, sans jamais cligner des yeux. Leur éclat, d'un bleu à la fois si clair et trop lumineux, presque électrique, deux taches d'azur froid sur la chaleur de sa peau hâlée, le plongeaient en transe. Enfin, elle cilla lentement, parfaitement consciente de la puissance attractive d'un si inoffensif mouvement, si négligeable, finalement ; mais si irrésistible. Il savait qu'elle usait de ses armes pour le séduire et qu'elle y était experte. Il aurait pu même citer par le menu le fil de toutes les ruses qu'elle pourrait employer pour atteindre directement à sa luxure et lui faire perdre pied. Il n'avait même pas l'excuse de ne pas être au fait que de telles femmes, conditionnées et dressées à cet art de la volupté et de la perdition, étaient un danger mortel pour tout homme d'honneur ; ce dernier se devait de s'imposer la sagesse de les éviter.

Mais c'était peine perdue. Il la voulait ; maintenant. Les barreaux de fer entre elle et lui se muaient en un insupportable obstacle. Saisissant impatiemment le trousseau de clefs tenu à bonne distance des prisonniers, il fit jouer la serrure de la porte de la cellule, attirant l'incompréhension avinée du plus proche des geôliers qui fit mine de s'approcher pour s'enquérir de ce que souhaitait le Légide de Mélisaren. Sous le regard hypnotique et brûlant de la captive, qui semblait se jouer autant de la situation qu'elle se moquait des conséquences, ce dernier foudroya le taulier aviné d'un regard qui ne souffrait aucun commentaire. Ce dernier décida de s'occuper de ses affaires sans demander son reste.

Zaherd revint à son obsession après cette agaçante interruption, réalisant que, pendant un instant, l'idée l'avait bel et bien hanté de prendre cette fille à même le sol sale et froid de la cellule. Elle ne bougea pas d'un pouce quand il ouvrit la grille, le fixant toujours. Ni sourire, ni la moindre moue qu'il eut pu traduire en une émotion, sauf ce regard intensément sensuel, qu'il eut décrit comme une braise ardente et pourtant glacée par l'absence de toute crainte. Le cœur froid d'une beauté irradiante, de sa chevelure noire jusqu'à la finesse de ses chevilles au dessin félin.

Pourtant, à l'instant, elle n'était, et de loin, pas au meilleur de ses apparats. Après des jours passés entre les quatre murs étroits de cette cellule sans commodités, elle était hirsute et sale, la soie translucide du court débardeur qui voilait à peine ses seins lui collait à la peau. Son pagne était dans le même état et, bien entendu, elle sentait un mélange immonde de musc et de fosse d'aisances, la puanteur qui finissait par adhérer à tout ce qu'on pouvait enfermer dans ces geôles. Zaherd décida qu'elle nécessitait un bain. Nulle réelle compassion dans son impulsion, mais le désir de profiter de cette esclave tout son saoul et dans les plus plaisantes conditions, fut-il nécessaire de patienter. Et c'était sans doute un bien : il aurait peut-être le temps de se reprendre bien qu'il n'ait nullement l'intention de renoncer à satisfaire son désir qui lui mordait maintenant l'entrejambe et lui embrasait le souffle.

Il attrapa le poignet de la fille, brutalement. Elle eut un geste de recul, son regard prenant un air de défi. Il aboya :

— Suis-moi, et n'essaye pas de résister.

Sonia ne répondit qu'un sourire ravageur et malsain. Elle se laissa guider par le Légide, non sans lui rendre la tâche compliquée de petits coups rebelles ; elle n'essayait nullement une bravade, bien futile dans ces lieux, mais seulement de réveiller et agacer la virilité et l'instinct dominateur du militaire. Elle lâcha un soupir lascif, se cambrant dans son jeu de dupe avec l'officier. Elle ignorait où il la menait, mais nullement pourquoi. Et elle en profiterait à foison.

Zaherd l'entraîna dans les couloirs de la caserne jouxtant les prisons de la capitainerie dont il était le chef incontesté. Sans se préoccuper des quelques regards tombant sur lui, mais surtout sur son étrange et fascinant fardeau, qui se laissait guider en mimant de manière fort convaincante la rébellion et la fatigue, il déboucha sur la vaste cour d'exercice que Sonia avait entrevue à son arrivée, avant d'être jetée dans sa cellule. Mais bien sûr, Zaherd ne se dirigeait pas vers les portes d'enceinte de la capitainerie. Tirant toujours l'esclave sans ménagement, il prit la direction de la grande bastide qui dominait la cour sur une terrasse plantée de jardins potagers et d'arbres fruitiers, elle-même à l'ombre des murs du vaste palais de l'Agora. Sonia comprit rapidement que les lieux étaient sa demeure, ce que les réactions nerveuses des serviteurs à l'arrivée de leur maitre lui confirmèrent.

Les Chants de Loss, Livre 2 : MélisarenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant