Les Royaux

Chapitre XXXIV- Prétendant

Inspirant une dernière longue bouffée d'air, le prince frappa quelques coups secs sur la porte. La réponse fut elle aussi brève. En entrant, Gabriel se souvint de la première fois qu'il avait pénétré dans cette pièce qui avait vu les rois de Skylar se succéder depuis l'ascension au pouvoir d'Aetherios soixante-dix siècles plus tôt. Le bureau Royal était une grande pièce ovale au parquet et aux murs de bois. Une immense table en verre servait de bureau, devant un mur fait uniquement de fenêtres. A cette heure de la journée, l'immense soleil de Skylar commençait à peine sa descente et n'illuminait pas assez la pièce, le personnel du Palais avait donc ingénieusement disposé des sphères de lumières partout dans le bureau pour donner assez de lumière au souverain.

Assis dans un immense fauteuil en cuir fin, Jules Ischys observa son fils des pieds à la tête lorsque celui-ci entra dans le bureau. Les deux hommes ne semblaient rien avoir en commun, leurs merveilleux yeux d'un noir insondable mis à part : le magnifique costume bleu à fines rayures argentées que portait le roi semblait être à l'opposé du vieux costume sobre de Gabriel. Même leurs cheveux ne se ressemblaient pas : les cheveux mi- longs de Gabriel étaient à l'opposé de la coiffure parfaite de son père, qui avait les cheveux complètement blancs. Jules était roi depuis presque cent ans, et il était encore jeune, mais l'anxiété et les devoirs que lui imposait son poste de souverain avaient fini par ternir puis détruire ses cheveux d'un noir huileux. Le prince se souvenait à peine de son père lorsque celui-ci avait les cheveux colorés, mais il savait que, même à cette époque, les deux anges ne se ressemblaient pas beaucoup plus. Malgré le fait que leurs cheveux aient eu la même couleur, ils avaient toujours paru différents : là où les cheveux de Gabriel avaient des reflets violets et verts à la lumière, ceux de Jules étaient toujours restés d'un noir d'encre profond et imperturbable.

-Vous avez demandé à me voir, Père, dit Gabriel en s'inclinant légèrement devant l'homme dans le fauteuil.

-En fait Gabriel, j'ai demandé à voir le Prince du Royaume, répondit le roi, la majuscule perceptible dans le ton désapprobateur de sa voix. Or, j'ai devant moi un ange qui pourrait difficilement passer pour un noble et encore moins un Royal.

Gabriel ne s'énerva même pas à cette remarque. En quittant ses appartements, il savait que son père n'apprécierait pas son accoutrement, mais à ce moment-là, le prince ne pouvait pas penser à quelque chose qui ne soit pas Helena Parsons.

Jules se leva et claqua des doigts. Instantanément les vêtements de Gabriel se modifièrent : une large chemise rouge vint remplacer le haut blanc et un pantalon marron et des bottes de cuir rare prirent la place du pantalon de costume sombre et des chaussures banales. L'héritier sentit ses cheveux se tirer d'eux-mêmes en arrière et vit deux bagues venir s'ajouter à sa chevalière d'Ange Noir. Il aurait même juré avoir senti des lames invisibles couper et tailler sa barbe naissante qui lui-même n'avait pas pris le temps de refaire.

-Bien mieux, commenta le roi en faisant le tour de son bureau.

Il s'approcha d'un meuble derrière Gabriel sur lequel plusieurs bouteilles de cristal finement ciselé étaient disposées. Le souverain saisit une bouteille contenant un liquide d'un rouge transparent et remplit deux verres. Il tendit un verre à son fils et prit le deuxième pour lui. Ensuite, toujours sans rien dire, il alla s'assoir dans un des canapés en cuir qui meublaient un coin de la pièce. Une fois confortablement assis, il jeta un regard à Gabriel pour l'inciter à l'imiter et à le rejoindre. Le prince but une gorgée d'alcool et laissa le temps au liquide de faire son effet avant d'avancer.

-C'est une excellente Liqueur de Feu, Père. Elle brûle juste ce qu'il faut avant de laisser la place au goût de fruits.

-N'est-ce pas ? Je la fais venir tout spécialement de Cunis Ignis. Leurs souterrains sont remplis de liquide enflammé et les habitants de cette région sont très bons dans leur travail.